Qu’une revue de poésie qui s’ap­pelle “L’e­sprit sauvage”, qui plus est pub­liée en Bre­tagne, se con­sacre à la thé­ma­tique “Mys­tiques sans dieu(x)” me parait tout à fait logique. Mais Marie-Josée Christien a réal­isé là un bien bel ouvrage empreint d’une human­ité et d’un souci du partage qui fait plaisir à lire.

Mys­tique et poésie donc tout d’abord, “quête de lumière et d’in­téri­or­ité” selon Marie-Josée Christien, cet “obscur ver­tige des vivants” de Michel Baglin. Cette lumière que l’on pour­rait plac­er “entre le souf­fle et l’être” comme le fait Brigitte Mail­lard ou dans “l’ubac intérieur” de Jacque­line Saint-Jean. La poésie comme « pierre de lumière / qui enterre la mort » (Karim Cor­naly), espace de “lib­erté intérieure” (Claire Fouri­er), ou bien comme “quête ini­ti­a­tique fon­da­men­tale”, “élé­ment cen­tral de nos exis­tences qui se cherchent en pro­fondeur” (Marie-Josée Christien). Mais aus­si et surtout une poésie “à hau­teur d’hu­mil­ité” (Guy Allix) pour « garder au cœur son point d’ancrage » Françoise Coulmin).

Mys­tique et Bre­tagne égale­ment donc, terre de spir­i­tu­al­ité, “point de vue de l’âme”, “lieu par­fait du génie poé­tique” nous rap­pelle Armand Robin en exer­gue de ce numéro de Spered Gouez. Une pro­fonde empreinte de reli­gion catholique et une appé­tence cer­taine pour le sacré et l’éternel. Et sans vouloir faire offense à tous les poètes bre­tons chré­tiens (Gilles Baudry, Jean-Pierre Boulic, Pierre Tan­guy pour ne citer qu’eux par­mi les vivants), il était tout à fait salu­taire de bien dif­férenci­er le spir­ituel et le religieux, à une époque où le monde se rad­i­calise un peu trop dans le super­fi­ciel, l’os­tracisme et le rejet de l’autre.

Ce tra­vail de Marie-Josée Christien, pour ce numéro de sa revue fait œuvre de com­mu­nauté et est un mod­èle de ce que peut être la spir­i­tu­al­ité exam­inée à tra­vers le prisme de la poésie : un partage d’hu­man­isme et une porte ouverte vers toutes les ques­tions que l’hu­main peut se pos­er. Comme dit Jean-Luc Le Cléac’h, le mys­tique “est surtout celui qui (se) pose des ques­tions. Et peu importe, au fond, que celles-ci demeurent sans réponse...” Alors que peut-être le religieux ne se con­tente d’une seule réponse… Oui c’est bien cela, cette revue devrait être offerte à tous ceux qui cherchent à don­ner un sens à leur vie. Juste leur pro­pos­er (rien impos­er) cette vision de la poésie comme voix de l’âme.

Le divin est nous, ou il n’est pas” annonce Claude-Michel Cluny. En nous, et partout ailleurs où sait chercher le poète. Marie-Josée Christien nous ouvre ain­si plusieurs chemins pour cette quête.

Le mys­tique on le trou­ve tout d’abord dans le sou­venir aux dis­parus : Angèle Van­nier, Paul Quéré, et plus récem­ment Alain Jégou par­tis dis­crète­ment « sur la pointe des morts ». Leur présence dans ce vol­ume nous les ramène en un sou­venir doux et leurs mots (ou leur pein­ture pour Paul Quéré) vien­nent à se lire autrement, avec une autre voix comme silen­cieuse, apaisée. Le mys­tique comme une forme de présence en fil­igrane dans toutes ces pages. Bruno Gen­este et Marie-Claire Prouteau rap­pel­lent aus­si que le mys­tique prend place prépondérante dans les sanc­tu­aires et les stèles. Ces sanc­tu­aires et stèles qui fleuris­sent de leur pierre nom­bre de vil­lages bretons.

Le spir­ituel se cherche aus­si dans les “nuages vagabonds” de Danielle Allain-Gues­don ou tout autre lieu de médi­ta­tion. Tout autre lieu prop­ice à réc­on­cili­er le corps et l’e­sprit. Claire Fouri­er a choisi plutôt un monastère en Char­treuse, Patrice Per­ron la lumière du soir dans les vit­raux d’ouest et Jean-Marc Gougeon l’aube (« Le fonde­ment du jour / me con­fiera-t-il par la bouche / de son aube / un rai de sa lumière »).

Le mys­tique mys­tère de la terre (« nous vivons  accordés /  à la terre qui nous lie » Marylise Ler­oux) du paysage (le ruis­seau où s’écoule les âmes défuntes de Louis Bertholom ou « L’eau qui coule entre / une rive et un rêve […] accord du vis­i­ble et de l’invisible. Et qu’on voudrait s’y noy­er / avant que le rêve devi­enne rive» Jean-François Mathé), et de la marche aus­si (« Pour dire que tout pas­sant pié­tine, à chaque sec­onde, un infi­ni » Michel Baglin).

Le mys­tique dans le corps lui-même aus­si. Der­rière les paupières pour Colette Klein (“sous la paupière l’œil se regarde / Réin­car­ne le monde”) ou Jacque­line Saint-Jean (“Sil­lages fugaces sous les paupières / traces d’in­cendie sil­lages rouges / dans l’én­ergie noire”). Dans l’expression de la joie «  La joie dans les cœurs / pour cautéris­er / les fêlures de la vie / — une force essen­tielle – / pour arpen­ter / les chemins de la sagesse » Chan­tal Couliou).

L’esprit est aus­si dans la légèreté (« qu’est-ce qu’une vie réussie ?, l’ami a répon­du « c’est une vie ou rien ne pèse » Serge Cabioc’h cité par Guy Allix). (« Emprunter des sentes de tra­verse / pour cueil­lir la beauté nichée / dans l’infiniment petit » Chan­tal Couliou). Mais aus­si dans le vide de l’espace et de l’univers de « l’astropoéticien » Jean-Pierre Luminet (« la pen­sée de l’éternel fait mal / mais elle enivre ») ou de Françoise Coul­min (« Sidéra­tion sur ce passé de l’univers / sur ces grands infi­nis de l’âme »). Et de l’espace au voy­age il n’y a qu’un pas à mul­ti­pli­er (« Voy­age / où rien n’est à gag­n­er / si ce n’est un mieux être / un mieux vivre » Chan­tal Couliou).

Voilà j’espère que de nom­breux lecteurs « l’esprit ten­du vers le sen­si­ble » con­tac­teront Marie-Josée Christien pour se pro­cur­er cette belle revue, riche d’humanité et d’espoir dans le genre humain.  Spered Gouez vient comme bon nom­bre d’autres revues de poésie à la « rescousse du sens », en ces temps de médiocratie intel­lectuelle il est impor­tant de le signaler.

Spered Gouez / L’esprit sauvage

Un numéro par an

16 €

Con­tact :

http://speredgouez.monsite-orange.fr

spered.gouez@orange.fr

 

 

 

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