Cher disparu partageant
des silences,
je voulais envoyer une lettre
comme les arbres envoient des messages
avec leurs feuilles,
ou le ciel avec ses exclamations
de pur nuage.
Pourtant j’écris
avec cette encre
bleue, couleur
des veines secrètes
et des artères.
Ici c’est le matin.
Le facteur arpente déjà
les rues innocentes,
redoutable comme Eole,
avec son sac de vents,
ou Hermès, le messager,
dieu du sommeil et des rêves
qui trace mon image
sur ce timbre.
Dans les édifices publics
des lettres sont pesées
et triées comme de la viande;
dans les gares
d’énormes sacs de courrier
sont cachés comme un butin de voleur
derrière des portes de camionnettes.
Et dans une autre ville
le prestidigitateur
présentera un éventail de lettres
à votre main tendue -
“Tirez n’importe quelle carte…”
Vous pouvez déchirer l’enveloppe
comme vous rompez le pain.
Alors seulement de noires rivières
d’encre dégèleront
et couleront
sous tous les ponts
que nous n’avons pas réussi
à construire
entre nous.
Traduction de Raymond Farina
Eyes only
Dear lost sharer
of silences,
I would send a letter
the way the tree sends messages
in leaves,
or the sky in exclamations
of pure cloud.
Therefore I write
in this blue
ink, color
of secret veins
and arteries.
It is morning here.
Already the postman walks
the innocent streets,
dangerous as Aeolus
with his bag of winds,
or Hermes, the messenger,
god of sleep and dreams
who traces my image
upon this stamp.
In public buildings
letters are weighed
and sorted like meat;
in railway stations
huge sacks of mail
are hidden like robbers’ booty
behind freight-car doors.
And in another city
the conjurer
will hold a fan of letters
before your outstretched hand-
“Pick any card…”
You must tear the envelope
as you would tear bread.
Only then dark rivers
of ink will thaw
and flow
under all the bridges
we have failed
to build
between us.