Dans ce texte ancien, Robert Desnos ver­sa dans l’étendue de l’écriture de dis­parus qui ont touché peu ou prou à l’érotisme. De l’antiquité, puis de Bran­tôme – vite expédié pour ses « com­mérages d’un infirme, ses rado­tages sur l’état de cocu et de place en place des anec­dotes peut-être gail­lardes sus­cep­ti­bles d’intéresser seule­ment un archiviste » – et  Rabelais, en pas­sant entre autres par Sade, Masoch, Apol­li­naire et Colette, l’auteur offre des con­sid­éra­tions sans doute par­tielles donc par­tiales sur les approches qui œuvrent con­tre la neu­tral­ité et l’indifférence accordée sou­vent par la lit­téra­ture au corps sexualisé.

Écrit en 1923 pour Jacques Doucet et parue à l’origine en 1953 De l’érotisme  a vieil­li. Et le relire aujourd’hui accuse cette propen­sion. Un Pierre Louÿs y est exhaussé sur un piédestal qui est devenu trop haut pour lui. Cette mise en relief prou­ve peu ou prou com­bi­en Desnos cherche dans l’érotisme plus un « témoignage d’amour » qu’une dérive sex­uelle. Et même si – tant s’en faut et comme il l’écrit –  « l’obscénité n’est pas la man­i­fes­ta­tion néces­saire de l’érotisme » celui-ci est traité de manière «soft ». Le véri­ta­ble appel d’air que pro­pose Desnos est donc moins sen­si­ble dans cet essai que dans sa poésie. C’est en elle que se retrou­vent (Annie Lebrun le souligne dans son texte lim­i­naire) les glisse­ments, per­mu­ta­tions et rup­tures capa­bles de dessin­er le « corps d’amour ». Il reste ici en pro­jec­tion plus spir­ituelle que charnelle.

 

De l’érotisme, Desnos n’a retenu que l’écume. Il en fait une sorte de nec plus ultra venant damn­er le pion autant à la gau­dri­ole gauloise qu’aux excès de Sade. Incon­sciem­ment, l’érotisme de Desnos cherche le con­te voire la presque bluette. L’ensemble demeure en con­séquence des plus som­maires et, il faut le recon­naître, guère pal­pi­tant. En con­sid­érant que   la  seule « poésie est capa­ble de pré­ten­dre à l’interprétation de mys­tères éro­tiques », Desnos se plaçait dans une impasse puisqu’était d’emblée rejeté tout ce qui pou­vait sem­bler dans l’érotisme matériel et grossier.

 

Pour la pre­mière par­tie du XXème siè­cle, Desnos ne retient que l’érotisme le plus chro­mos. De Colette elle-même il ne con­sid­ère avec bien­veil­lance que les tour­bil­lons anodins de jeunesse. À l’inverse, il pour­fend la « Madame Colette de Jou­venelle, Madame le séna­teur (…) Quel est celui d’entre nous qui n’a pas été dégoûté par cette méta­mor­phose ? » écrit-il. Il n’empêche qu’en dépit des restric­tions quant au pro­pos du livre, le plaisir (non éro­tisé) demeure présent. Et si l’auteur serait sans doute incon­solable à l’aune de ce que le genre est devenu, la sat­is­fac­tion reste grande de le retrou­ver, même s’il est arcbouté et crispé sur une cer­taine idée de la lit­téra­ture. Il refuse celles qui s’essayent aux ténèbres trop intens­es du corps comme à celle qui en son humour caus­tique est riche en alacrités de corps de garde. Le poète préfère celle des fris­sons du petit matin, des ren­dez-vous secrets « inscrits sur des agen­das incon­nus ». Ce n’est peut-être pas beau­coup. Mais sou­vent la lit­téra­ture du temps se con­tente de moins.

 

 

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