Cet instant, vio­lent, pour­tant crescen­do, où on penche, où tout en soi penche, de son corps, de son être “la ligne d’hori­zon penchée / s’écroule à l’in­térieur du corps / à com­mencer par quelques miettes / qui finis­sent finiront en gra­vats stupides”

Un choc, oui, une bru­tale évi­dence, qui prend le corps, l’être, l’amène au loin de la ver­ti­cale du vivre, sans prévenir, sans qu’on com­prenne, ne puisse même réalis­er que ça arrive “on sait pas c’est / c’é­tait / juste avant de tomber

Et tout devient automa­tismes, heures robo­t­isées ; on n’est plus vrai­ment un humain, mais un objet qui se meut, robot échangeant des don­nées avec d’autres mécaniques intimes “com­ment ça va ? on entend / qu’on dit com­ment ça va […] et ça va on entend / qu’on dit ça va”

La fron­tière entre soi et soi s’é­tend, s’am­pli­fie, aveu­gle, apeure “loin / comme un désert sans bord”

On ne voit plus, ne sait plus. Il y a des pos­si­bles impal­pa­bles, trop dis­tants, en l’ar­rière pays de notre his­toire, où tout s’é­parpille de notre peu “- trop d’an­gles morts — la pente / le puzzle”

Alors, on se ras­sure, dés­espéré­ment, s’ac­croche à des vétilles, vacuités indis­pens­ables, pour ne pas tomber trop vite “des listes / choses vues pas vies à voir / lire faire / surtout ça faire”

On se sus­pend même­ment à des lueurs abstraites, repères fri­ables, de chairs con­nues, aimées, de proches qui s’éloignent, mal­gré eux, mal­gré soi — ils sont eux et n’im­porte qui d’autres en même temps “il y a des regards des vis­ages / des regards plein les visages”

Et le bil­lot tombe, ou risque de. On sait que la fin nous achèvera tôt ou tard. On ne veut pas, surtout pas, subir. On voudrait devancer la perte du cœur.“un jour ou l’autre il fau­dra en finir / avec l’amour

Le chœur n’en­chante plus, on se sent atone, puis aphone, exas­péré, écœuré. Il faudrait recon­naître ce, ceux, celles, celle qu’on ne recon­naît plus. Impos­si­ble. L’autre s’af­firme tel le reflet d’un rêve dilué à l’acide de la perte. “à côté la peau ten­due du souf­fle / exhalé d’un corps / mitoyen / ne se con­naît pas plus / que lui”

On voudrait met­tre un point final, à cette fin qui n’en finit plus de finir, qui s’al­longe en longues douleurs ren­dant presque insen­si­ble, à la longue. On en arrive à se dire que le plus douloureux n’est pas la perte, mais la volon­té aveu­gle de s’ac­crocher à ce qu’on croit ne pas avoir com­plète­ment per­du “que / ce qui n’est plus demeure”

Ce corps, soi, ne vit donc plus comme soi. On est tombé, la chute nous a avalé, corps et biens. On existe détaché de ce qui manque de soi, de ce soi passé, dépassé. On est ce nou­veau être, au corps ancien, qui doit assumer sa présence, ici. Plus hors soi, plus penché ; mais bien soi, droit.“der­rière le rideau / n’en pas revenir / bouche bée cheveux rares / une moitié de peau grise / qui respire à sa place”

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