La poésie de Michaël Glück est poly­phonique. C’est l’une des raisons pour lesquelles Rouges s’écrit for­cé­ment au pluriel. Tout d’abord, les voix d’autres poètes tra­versent le recueil. Dans le pre­mier texte, les vers de Michaël Glück dia­loguent avec ceux des autres (Yehu­da Amichaï, Mah­moud Dar­wish, Abdel­latif Laâbi, Ibrahim Souss…).

Je n’écris pas j’écoute
j’écoute
je laisse en moi mon­ter vos voix

Cela se repro­duit, dans l’ensemble inti­t­ulé « comme un p’tit coqu’licot » : on croise Arthur Rim­baud, Hein­rich Heine. Michaël Glück est à compter par­mi les passeurs : en le lisant, on passe d’une rive à l’autre, d’une ville à l’autre, d’une écri­t­ure à l’autre. Du sou­venir au présent aussi.

nous avons la terre des mots
dans la bouche

Dans cet univers où la parole est pré­cieuse, le silence joue aus­si un rôle impor­tant. Il est présent à chaque bout de vers – sou­vent très courts – et entre les stro­phes. Dans l’entretien sur lequel l’ouvrage se referme, Michaël Glück attire notre atten­tion sur les raisons de cette place accordée au silence. Ce dernier est à la fois ce qui met en lumière, donne du poids à la parole, et un acte de résis­tance. « Force du silence dans le poème, comme en musique, comme le vide en pein­ture […], résis­tance au trop-plein, au gav­age généralisé. »

je ne sais pas encore tracer
les portées du silence

Si le silence appa­raît par­fois comme un idéal auquel il tend, à d’autres moments, sa poésie devient plus bruyante. Dans l’ensemble inti­t­ulé « jours de colère », on entend net­te­ment le ton mon­ter, le débit de parole augmenter.

assez de naufrages assez

Michaël Glück est devenu tri­bun. On l’imagine le poing levé. Il faut ici pré­cis­er que ce bou­quet de textes a été com­posé en octo­bre 2007. Or la colère a gran­di, cette année-là (et cela ne s’est pas vrai­ment arrangé par la suite).
L’écriture de Michaël Glück n’est pas pour autant dev­enue monochrome.
Un jour le poète se bat dans le présent, par­le au nom de ceux qui n’en ont pas (dans le texte « 100 papiers ») :

vous expulser qu’ils dis­ent vade retro qu’ils dis­ent tous ceux-là

Le lende­main, il se sou­vient du temps où il mar­chait dans les pas d’Arthur Rim­baud, ce qui reste un acte pro­fondé­ment poli­tique, mais plus un acte militant.

mon père / qui m’offrit ce livre /
celui-là / à cou­ver­ture bleue / ne
l’avait pas lu / je ne lui ai jamais
demandé pourquoi / pourquoi ce
livre à moi offert / le jour de mes
qua­torze ans / pourquoi / il ne 

savait pas qu’il dépo­sait entre mes mains / 
une bombe à retarde­ment / con­tre lui-même / 
con­tre moi-même / ne savait pas / je crois

[…]

Rim­baud m’a dit tu traînes
tu traînes la pat­te va
arrache les amarres

[…]

Michaël Glück a qua­torze ans, il marche un livre à la main, et ce livre est une bombe. Car c’est après cet épisode du livre à cou­ver­ture bleue qu’il pose ses yeux sur le monde et les lève vers les étoiles dif­férem­ment. Et puisque nous évo­quons les étoiles, citons ce très beau texte écrit au monastère de Saorge :

j’ai trop levé
les yeux vers le ciel
trop cher­ché les Céphéides

j’ai l’œil droit en sang

une étoile est tombée
dans la pupille

un dra­peau rouge pâlit
près du bleu de l’iris

Le poète a cette dou­ble aspi­ra­tion : par­ler au nom de ceux que cer­tains aimeraient bâil­lon­ner, effac­er de nos vies, et par­ler la langue des poètes d’hier – que Michaël Glück con­sid­ère, à juste titre, comme ses con­tem­po­rains –, la laiss­er mon­ter en lui. Dans l’entretien, il dit l’importance des livres : « Les livres m’étaient, me sont encore, ce silence bruis­sant, cette forêt-refuge qui me per­met de faire face au tumulte bruyant et ter­ri­fi­ant du monde. Les livres m’ont ancré dans la com­mu­nauté humaine (autant qu’ils m’en ont protégé) ».
Le recueil Rouges est bâti sur ces oscillations :
le poète s’avance / se met en retrait,
crie / murmure,
man­i­feste / contemple…
Cela ne sig­ni­fie aucune­ment que sa poésie est un joyeux bazar dans lequel on trou­ve un peu de tout et que le recueil manque de cohérence. Il est des sen­ti­ments, des atti­tudes qu’on ne croise pas chez Michaël Glück : la résig­na­tion, par exemple.

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