Philippe Ollé-Laprune donne une belle pré­face à ce vol­ume. Elle com­mence ain­si : « Rubén Darío est revenu au Nicaragua, sa terre natale, pour y mourir. Celui qui a par­cou­ru le monde, révo­lu­tion­né l’écriture en espag­nol et fait fig­ure d’idole pour la jeunesse de l’Amérique Latine se sait con­damné par la mal­adie ; les excès, liés à la vie agitée qu’il a mené, le con­damnent. Il n’atteindra pas les cinquante ans. Il meurt le 6 févri­er 1916 à León, dans ce Nicaragua pro­fond où il est né et a gran­di, loin des feux des cap­i­tales bril­lantes qu’il a con­nus. Darío est l’exemple même d’un écrivain sur­gi d’un des lieux les plus improb­a­bles ». Le décor est plan­té, c’est à la lec­ture d’un chef d’œuvre mécon­nu que nous sommes con­viés, nous lecteurs sou­vent pro­fanes de la vieille Europe. Et cela est vrai. Rubén Darío est l’un des écrivains de langue espag­nole par­mi les plus impor­tants de l’orée du 20e siè­cle, à la légende servie par une tra­jec­toire con­sid­érée comme ful­gu­rante. Un bon poète, cela doit savoir bien mourir. Il y va de la postérité. Azul ? « Bleu ». Cela dit beau­coup. C’est un ensem­ble de con­tes (à l’écriture poé­tique affir­mée) et de poèmes. Mais ce bleu n’est pas bleu du ciel, plutôt celui de l’âme.

Rubén Darío a mar­qué les let­tres his­paniques, on le con­sid­ère sou­vent comme l’un des fon­da­teurs de la moder­nité lit­téraire en cette langue. Azul date de 1888 et a été édité au Chili. Un des nom­breux pays par lesquels le poète est passé, comme il est venu vivre à Paris. Darío est un voyageur autant qu’un activiste des let­tres. Et dès avant le début du 20e siè­cle, il réu­nit une quan­tité de per­son­nes heureuses de s’inscrire der­rière lui dans le mod­ernisme. Mais peu importe. Ce qui compte, ce sont les textes et non les fau­teuils en cuir des oli­gar­ques trop­i­caux d’une époque morte. Darío est vivant en son écri­t­ure et de ce point de vue les édi­tions José Cor­ti font un don au lecteur fran­coph­o­ne en lui per­me­t­tant de décou­vrir cette œuvre forte. Une écri­t­ure mar­quée par­fois par l’érotisme, plus sou­vent par un ésotérisme qui le pas­sion­nait, dans une époque où l’on fai­sait tourn­er les tables tout en posant cor­recte­ment équer­res et com­pas sous la voie lac­tée. Le poète ouvre son cœur au monde. C’est de cela que son œuvre est por­teuse. On pour­rait sans exagér­er voir quelque chose de maçon­nique dans l’œuvre con­stru­ite, et sans doute est-ce là, dans cette œuvre, qu’il faut voir la réal­i­sa­tion du poète. Darío est un bâtis­seur et l’on trou­vera force soror­ité dans son travail.

On con­sid­ère aus­si, sou­vent, que Rubén Darío a révo­lu­tion­né l’écriture poé­tique de langue espag­nole. Il bous­cule les us et cou­tumes de son temps. En cela, Recours au Poème ne peut man­quer de se recon­naître dans son par­cours. Il cherche la com­plex­ité en l’homme de son temps, et non des chemins tracés par la force des habi­tudes ou des illu­sions. Il refuse que la lit­téra­ture et la poésie se can­ton­nent à des « élites » bien nées (dit-on), s’occupant de salons en salons. Le poète entre en con­tact avec le monde. Et ses hommes. Il a ren­con­tré Ver­laine. Il n’ont mal­heureuse­ment pas sym­pa­thisé plus que cela.

Deux poèmes de Rubén Darío

image_pdfimage_print