Une Genèse

 Forêts, vous finissez
à l’in­térieur des villes .

*

Bergère de paroles
pen­sée devant soi poussée,

Nuit des mémoires
aubier où a crû
le savoir des espèces,

Amont de l’existence
mortelle incessamment
recalculée,

A nu s’ar­rache d’un
sur­saut de vagues
nageuse enfin accordée à la rive
la Vie un jeu de dés
sur le tapis des mousses
algue émergée dessin déjà
d’ar­bre possible,

Mue par quel verbe aux syl­labes inouïes ?

*

Infati­ga­bles les fougères
déroulent déten­dent leurs crosses
grig­no­tent l’étendue
mitrail­lée de leurs spores,

La terre les mange
est mangée
s’abîme fouillée
fouaillée
dans le puits des verdures

Où guer­rière la silve lève des boucliers
dans le fra­cas des lances de soleil .

*

Cal­ices mon­tés sur le saphir d’un matin
ham­pes étirées au chalumeau d’or­ages brefs
la pluie pal­pite sur le corps
de mer­veilles fustigées
précède leur éclat le proclame
et les sèves déploient
leurs puis­sances de feuilles .

Seul regard dans la touffeur
des muettes futaies
le dieu oblique du couchant
comme un trib­ut d’adoration
incante les vapeurs amasse les nuées
enlève leur spirale .

*

Lentes à devenir
le domaine des bêtes
forêts qui finirez
à l’in­térieur des villes
pri­mor­diale­ment vous avez
con­ver­ti le ciel en azur.

A votre abri ombreux
respiratoire
l’an­i­mal affranchi de l’eau
à l’épreuve de l’air se hasarde,
fouit racines et rhizomes
mime brindilles et feuillages
s’étire infime sous l’écorce
s’enchevêtre aux lianes
se noue aux mus­cles des rameaux
se dresse vaste
pré­da­teur de frondaisons
fou­et tenaille griffe
implaca­ble mâchoire
machiner­ie armée d’écailles
engins irré­sistibles qu’un jour
a soudain dans la tourbe couchés …

*

L’être humain est né là
par­mi les sur­vivants d’anciennes
cat­a­stro­phes dans la promiscuité
d’énormes cris très rauques
sous l’a­verse fil­trée par les branches
la nuit aux trem­blantes étoiles
scru­tant l’an­goisse dans ses os .

Par quel matin empli de gloire
ose-t-il choisir
quelques dieux les abattre
et s’en con­stru­ire un toit !

*

Comme la vie s’élança hors de l’onde
le sauvage fendit les houles verdoyantes
délais­sa leur ombre habitée
pour l’hori­zon où camp­ent les énigmes .

Lumière de mil­lions d’an­nées aujour­d’hui nous parvient 
le sou­venir des vieilles forces forestières
à la vue des parcs assagis
de jardins dans le tis­su des villes verticales
au pied d’im­meubles totems .

Civil­isés les arbres restent tutélaires :
orgueilleuse la rue ennoblie sous leur dais !
Nos étages dépassent leurs cimes
mais c’est bien à leur fourche extatique
que nous rêvons encore de monter .
 

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