Oubli­er Bag­dad  s’ouvre sur une mélodie au piano d’Arnaud Delpoux qui nous invite sur les ter­res d’Orient, l’Irak, terre d’exil du poète Salah Al Ham­dani. « Cinq heures du matin » le poète veut voir la mer « cette mer tant désirée » – une voix grave dont le tim­bre si par­ti­c­uli­er, si beau, se marie par­faite­ment à la musique mélan­col­ique d’Arnaud Delpoux. Car il s’agit bien là d’un duo – une ren­con­tre, une belle ami­tié entre un com­pos­i­teur né en France, auto­di­dacte (Arnaud apprend la gui­tare et débute en 1995 sa car­rière dans la musique) et un poète né à Bag­dad, qui décou­vre la poésie dans les pris­ons de Sad­dam Hus­sein et qui choisit la France, pays de Camus, pour terre d’asile en 1975.

 

Com­posé de onze morceaux, Oubli­er Bag­dad nous entraîne vers ce pays déchiré par les guer­res, dans l’impossible retour du poète sur sa terre d’enfance. Après la chute du dic­ta­teur, Salah Al Ham­dani s’est ren­du en Irak pour revoir sa famille – sa mère « l’esprit en dérive / enfilée dans (s)es prières / l’âge cousu sur le vis­age ». Ce bref retour au pays est douloureux : Bag­dad a per­du son vis­age d’amour, son âme, vio­lée par les bar­bares. Que ce soit dans sa langue mater­nelle – l’arabe – ou sa langue d’adoption – le français, Salah Al Ham­dani dit sa blessure pro­fonde, cica­trice à jamais ouverte : « la nos­tal­gie ramasse mon âme comme les gibiers d’un tor­tion­naire ». Témoignage de l’exil : « Bag­dad mon amour », femme cru­ci­fiée, mère de tous les hommes. 

 

Les com­po­si­tions d’Arnaud Delpoux au piano et à la gui­tare, dans des influ­ences mêlées d’Orient et d’Occident (cer­taines sonorités nous rap­pel­lent par­fois Anouar Bra­hem), nous invi­tent au recueille­ment. « L’exil est mort à force de regrets ». Voix et musique s’écoulent comme l’Euphrate, fleuve tumultueux de l’Orient meur­tri, bal­ayé par le vent du désert, comme la Seine qui tra­verse Paris, ville d’écriture et de lumières dans la nuit, où le poète – « l’oiseau sur le départ » fini­ra par manger « (s)es ailes / pour ne plus voler ». 

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