Que nos épis ne lèveraient pas sur vos pro­priétés, nous l’avons su très tôt. Appren­dre à lire dans le Grand Livre des sen­sa­tions nous avait prévenus con­tre vos préjugés. Nous chéris­sions trop les herbes folles et les ciels ver­sa­tiles, pour ne pas gager notre exis­tence sur le devenir léger des choses, sur tout ce qui échoit à la faveur des cir­con­stances et du hasard. Nous avions dis­cerné nos aver­sions et nos dégoûts : le sen­ti­ment de cul­pa­bil­ité, l’épaisseur triste et la pesan­teur, la haine des nuances, la van­ité d’être un homme… Déjà nous polis­sions nos pas­sions pour ajuster nos moyens à nos vues : l’ignorance qui ques­tionne plutôt que l’arrogance du juge­ment ; les sor­tilèges et les images qui sub­juguent plutôt que les arti­fices de la démonstration.
   Cepen­dant nous deman­dions à l’écriture qu’elle nous délivre du temps, de l’espace et du moi. A quelle aune éval­uer la récolte ? Notre abrégé de vie se résumera à peu près à quelques instants de grâce, à quelques moments de grande promesse ou de con­vic­tion. Ce que nous aurons fait ne suf­fi­ra pas à dire ce que nous désiri­ons ; néan­moins, nous avoir épargné les désagré­ments d’une promis­cuité dont nous ne voulions pas, n’est pas le moin­dre béné­fice que nous aurons tiré de ces dispositions.

Inven­taire des pertes et des profits

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