Novem­bre dén­i­gré, aux pluies glaçantes il est vrai,
pour­tant si cri­ant – feu des hêtres et des ormes –
de vérité – la robe obscure et grave des conifères.

Rien ne ment sous le ciel terne ;
les arbres ne fuient plus dans leur ramage,
leur bruisse­ment : mur­mures et bour­rasques de feuilles,
mais, plus que jamais enrac­inés, ils endurent
leur dépouille­ment : branch­es nues, feuilles chues ; 

il n’y a rien à dire,
une sai­son est don­née à nos deuils,
du temps nous est accordé — c’est à nos peines
pour que peut-être on s’en dessaisisse ;
on les aura, pesant, d’abord éprouvées.

L’oiseau même est à terre ; le rouge-gorge,
le pin­son volè­tent, et man­quent d’élan.

 

 

 

***

 

 

 

Un corps navré ; à terre les feuilles ternes.

Jours de défaite ? Ou est-ce
que l’on a sim­ple­ment désarmé ? 

D’autres feuilles dans la dernière lumière
sur le bouleau orange illuminées.

Une rose pâle, comme décolorée.

Faut-il être jusque dans sa chair la tristesse,
le champ piét­iné d’insondables batailles ?

Au-dessus, rose et or, le ciel
éblouis­sant avant l’obscurité.
 

 

 

***

 

 

 

Comme si le vent avait rabattu
un vol entier de mésanges qui sautillent,
volè­tent, du rosier au filet d’un trampoline
au rebord de la fenêtre
jusqu’à la corde ten­due pour le linge ;
portés par les rafales,
les oiseaux ici se pressent : 
cela jail­lit, fuse…
tout un jardin éclaboussé de bleu – un lieu
à cet instant que l’on dirait élu. 

 

 

 

****

 

 

 

L’enfant s’émerveille d’un oiseau, elle appelle,
qu’on partage avec elle cet émoi.
Elle se tient debout devant
la fenêtre : l’aile est si belle, ce bleu
que l’oiseau ne porte pas ailleurs sur son corps.

Et l’on vient en effet, on se tient
debout aus­si, à côté ; ce qui a lieu
alors entre nous, on n’a plus l’ardeur
d’en tir­er une sorte de foi.

Mais on sait cela : on est deux,
unies devant l’arbre à la faveur
et à l’intérieur même du bleu,
le temps que dure une halte d’oiseaux.

 

 

 

****

 

 

 

Quand enfin venait le jour,
le seul de la semaine où l’on pouvait
vivre un peu rêveusement,
faire naître de soi des gestes inhabituels,
elle arro­sait, dès le matin, la plante fidèle ; et c’était
comme de se réveiller d’un long sommeil,
longue absence : quelqu’un
se tenait là, debout, dans la mai­son claire,
qui abreuvait la terre, écar­tait les feuilles,
pre­nait soin de l’existence.

 

 

 

***

 

 

 

Et retourn­er main­tenant au silence
nous don­nant la chance de nous aimer :
cet enveloppe­ment dont nous avons rêvé !

C’était un châle, un bras — et l’épaule appelait,
muette, par­fois elle criait ;
ou bien encore une aile qui nous poussait,
toute de feuil­lages et de plumes empennée.

A ser­rer des enfants on avait appris les gestes,
une douceur ! c’en était une volupté.
Mais l’enfant, le vent, l’aimé ne font qu’une halte,
ils sont au monde pour bien plus que nous réconcilier.

Vienne donc et descende le silence,
qu’il nous refonde comme la nuit, l’hiver
pren­nent dans le som­meil soin de la terre.

 

 

 

***

 

 

Pour­tant, il y a de la douceur,
la façon comme un sourire en avril
que le prunus et le cerisi­er ont d’éclore ;

à des car­refours, la marche suspendue
le temps qu’on hésite, et le corps
qui prend avec grâce une pause inconnue ;

le rythme plus lent sur lequel se prononce
une amie, comme pour nous laiss­er le temps
de nous installer dans une parole partagée ;

et cette place qu’on s’accorde aussi
en aimant en secret, des­ti­nant des pensées
que l’on sait pou­voir être reçues.

Il ne suf­fit pas que l’âme soit effleurée
mais on peut sans doute aller, sans frémir,
avec l’air, la voix, les corps, l’absence même
et la nature inven­tive pour alliés.

 

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