Il y a des voix qui n’ont pas besoin d’un lent chem­ine­ment pour entr­er en réso­nance. Elles écla­tent soudain dans leur sin­gu­lar­ité, et défient alors toutes les ten­ta­tions des faiseurs de mots arrondis. On ne les écoute pas à l’aune d’une esthé­tique bien huilée, mais en se met­tant à recevoir plein vis­age des volées de bois vert, ou de bois ten­dre, et c’est pour la peine (ici com­muée en  authen­tique plaisir) une vraie leçon d’immédiate énergie poé­tique.  Les souf­fles nomades de Marie Ginet sont de cette trempe-là.

L’ouvrage rassem­ble une suite de poèmes écrits pour la voix haute et qu’on a le bon­heur de pou­voir tra­vers­er aus­si bien sous la forme écrite qu’en enreg­istrement sonore. Des poèmes mil­i­tants et ten­dres, inqui­ets et assoif­fés que la poète, famil­ière des

scènes slam, dans le Nord de la France et en Bel­gique, notam­ment au sein de la Com­pag­nie générale d’Imaginaire, a appris à porter en bouche à la ren­con­tre du public.

Jean-Pierre Siméon ne s’y est pas trompé, lui qui a choisi de pré­fac­er de façon éclairante ce pre­mier livre. Marie Ginet « ne se con­tente pas de sec­ouer la langue, du seul rythme qu’impose la parole jetée, elle varie les rythmes, selon la visée du poème… », écrit-il, et l’on ne peut que souscrire à son pro­pos. Force de per­cus­sion s’allie en effet ici à une recherche évi­dente de la for­mule qui touche juste. La voix pressée d’interpeller sait retenir son souf­fle dans la scan­sion des mots, et le tra­vail des images peut d’autant mieux se loger dans le mou­ve­ment du poème. Et si slam est le ter­ri­toire de cette façon-là d’écrire et de porter les mots, qui s’en plaindra ? 

Celle qui, par un défi intu­itif, aus­si auda­cieux que joueur, s’est don­né le nom d’Ange Gabriel.e, en scène slam, a pris au sérieux l’adresse de René Char : « Com­ment vivre sans incon­nu devant soi ? » qui fig­ure en exer­gue de ces Souf­fles nomades.  Cet incon­nu est sans doute au cœur de la démarche pro­fonde de Marie Ginet dans sa présence à l’autre. Incon­nu mal­traité « dans le bec de l’homme » par les vio­lences des fron­tières « qui venus du dedans du dehors se chaque jour dur­cis­sent » ; incon­nu de la dépos­ses­sion de soi-même en sin­gulière ébriété dans la litanie de « Saint Bernar­dus priez pour nous » ; incon­nu d’une fig­ure proche qui  nous attire vers la douceur du soir sur Athènes, la meur­trie. Autant de vis­ages éprou­vés de l’instant à naître.

C’est sans doute cela qui donne toute sa fer­veur au livre de Marie Ginet. Un alliage con­va­in­cant entre une rage nour­rie de con­vic­tions et une intéri­or­ité qui accueille les trem­ble­ments de la vie, d’où qu’ils viennent. 

 

Les mots inqui­ets qui dis­ent : « Je ne com­prends pas la pro­fa­na­tion de la terre.

Celle qui, lente étoile,

porte ses assassins.

J’écris, je le sais, pour ne pas mourir. » coex­is­tent ici, comme par néces­sité, avec ces autres mots qui ont gardé le goût de la pre­mière innocence :

« Je suce en pen­sée les anges du ciel.

  J’attends que l’archange m’enflamme le front ».

 

La poésie pour défi­er le péril de nos quo­ti­di­ens asth­ma­tiques et réap­pren­dre à respir­er à pleins poumons ? Ce pour­rait être la nou­velle réjouis­sante à tir­er de la lec­ture des ces pages aux couleurs d’insurgée. 

                                                                                         

À sig­naler sur le blog « Ter­res de femmes » la page  con­sacrée à Marie Ginet : http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2013/01/marie-ginet-plus-vaste-que-nous.html

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