Les nuages qui courent dans le nou­veau livre de Jean-Pierre Boulic sont ceux du Pays d’Iroise, là où réside l’auteur, à la pointe nord-ouest du Fin­istère. C’est le qua­trième livre bilingue (français-bre­ton) que le poète con­sacre à ce ter­roir si par­ti­c­uli­er, à la fois austère et enchanteur. Mais Jean-Pierre Boulic change ici de focale. Certes il nous chante son pays d’élection – comme il l’avait fait  notam­ment dans Le chant bleu de la lumière –  mais c’est plutôt une pro­fonde médi­ta­tion qu’il nous pro­pose ici, dans des poèmes lap­idaires aux allures de prière ou d’incantation.  Pré­façant le livre, le moine et écrivain Jean-Yves Quel­lec note d’ailleurs avec justesse que « Jean-Pierre Boulic parvient très heureuse­ment à réu­nir dans ses écrits l’affirmation enchan­tée, l’interrogation qui naît d’un émer­veille­ment sans com­plète béat­i­tude, le désir mué en espérance et, ultérieure­ment, en prière ».

    Alors ? Jean-Pierre Boulic, poète chré­tien ? Assuré­ment, il ne renierait pas cette appel­la­tion, mais tou­jours par le truche­ment d’une poésie incar­née en prise directe avec la nature. Des mots fam­i­liers du poète ponctuent les pages comme dans ses précé­dents recueils : « clair­ières », « vagues », « fougères », « lan­des », « îles », « rochers », « écume », « vague »… Ah ! Cette mer d’Iroise, « cor­ri­dor d’un océan/qu’empruntent les phoques ».

    Mais tous ces mots au goût salé sont, ici, pour don­ner véri­ta­ble­ment toute sa saveur à une démarche d’introspection. « Poète ! La terre que tu veux laisser/D’abord est celle qui en nous-mêmes/­Passe de mort à la vie/Et se libère dans la force d’aimer ». Les paysages du Pays d’Iroise devi­en­nent ain­si de vrais paysages intérieurs quand l’auteur souligne « l’évidence du pré­caire » ou exprime une « douleur à ciel ouvert ». Un vif sen­ti­ment de l’existence se man­i­feste sous « les langes du ciel » quand l’homme est à même d’entendre « l’inouï dans la den­telle du silence ».

        « Tu demeures là/Guettant terre et océan/Les yeux tou­jours éveil­lés/Au-dessus des lames ». Veilleur (tel un moine séculi­er), Jean-Pierre Boulic habite « le seuil » et quête « l’invisible présence ». Dans la deux­ième par­tie de son recueil, qu’il inti­t­ule « Ce que mon cœur cherche » (titre inspiré par Le Can­tique des can­tiques), c’est le ton de la prière et de l’invocation qui domine large­ment. S’adressant à son Dieu, il peut même lui faire cette sup­plique. « Fais venir le courage d’affronter/Le temps où mon souffle/Par les main des hommes sera supporté ! ».

      Le temps file, l’âge vient. Mais Jean-Pierre Boulic s’arrime à « l’instant sacré » et croit au « temps de la grâce ». Les nuages, sous sa plume, devi­en­nent des « célestes vagabonds » qu’il salue d’un revers de main. Son pays d’Iroise devient notre pays à tous quand « tout tres­saille et se révèle ».

 

(*) Les qua­tre précé­dents  livres bilingues de Jean-Pierre Boulic directe­ment inspirés par les paysages de l’Iroise s’intitulent : Roy­aume d’île, Rouan­telez en enezenn (2004), Une île auprès des ciels, Eun enezenn tost d’an oablou, avec des pho­togra­phies de Marie-Hélène Grange (2007), Le chant bleu de la lumière, kan glaz ar sklêri­jenn (2009). Ils ont tous été pub­liés par les soins de Job an Irien aux édi­tions Mini­hi Lev­enez (29 800 Tre­flevenez), qui en a assuré la tra­duc­tion en breton.

Des extraits du Chant bleu de la lumière, Kan glaz ar skler­i­jenn, sont à l’origine d’une cantate(musique de René Abjean) inter­prétée par Mouezh Paotred Breizh, Chœur d’hommes de Bre­tagne, sous la direc­tion de Jean-Marie Airault. Le CD de la can­tate vient de paraître (dis­tri­b­u­tion Coop Breizh), véri­ta­ble « ode à la Bre­tagne et aux paysages de l’Iroise ».

 

 

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