Au fond de la mémoire , c’est l’éclat blanc qui n’est
ni trace de brume ni vide de sens : ce n’est probablement
pas de la neige, ni cet effet éblouis­sant de ligne blanche
que l’horizon marin peut avoir quelquefois
les jours où l’air est trans­par­ent comme la cel­lo­phane vierge.
C’est une écharde d’un blanc par­ti­c­uli­er, ou bien une traînée de blanc,
comme un banc de sable écla­tant à tra­vers le cou­vert des feuilles,
retenu pour tou­jours, sou­venir d’une prom­e­nade bien des années auparavant.
C’est le  rai  de lumière sur les dunes au crépuscule,
saisi juste une fois, remé­morée, revue ailleurs.
Ou bien l’ombre insai­siss­able du métal blanc sur le toit
de la mai­son voi­sine, ombre qui est aus­si silhouette
d’une bougainvil­lée, fleurs rouges cascadant
le long des murs, envahissant les tuyaux d’écoulement –
et par-dessus le toit, trois péli­cans sus­pendus dans le ciel
tels des bateaux amar­rés dans une eau agitée par le vent.

Voici la clarté à laque­lle je m’éveille habituelle­ment, ou
qui m’éveille, après une nuit sans rêves.
C’est ain­si que j’ai dor­mi la nuit dernière. Après des semaines d’absence,
je me suis de nou­veau éveil­lé dans une mai­son calme comme l’été,
une mai­son pleine d’objets (lam­pes, éviers, chais­es, portes)
qui n’ont pas besoin de dormir. Seule­ment pen­dant ces premiers
rares instants, après que je sois arrivé dans la cuisine,
tout est aus­si calme et frais que le réfrigérateur.
Alors, il se met à ron­ron­ner tran­quille­ment et les pais­i­bles péli­cans planant
frap­pent des ailes. Ce pour­rait être une fois ou toujours,
comme une sen­sa­tion par­ti­c­ulière qui va et vient,
avant de s’enraciner, et d’apparaître encore. En rentrant,
j’ai le sen­ti­ment que de quelque façon, les choses
ont changé, quand en fait ce n’est pas vrai :
peut-être auraient-elle dû. Mais non.
Vous dormez encore. Le toit du voisin offre
en retour au ciel sans tache un peu d’ultraviolet,
tan­dis que je pense au temps passé  ailleurs, aux voyages,
aux jours et aux jours sur d’arides autoroutes. Peut-être
en rêvez-vous juste en cet instant, replié sur vous-même
comme la courbe d’un paysage. Rien ne change. Ou peut-être est-ce la lumière du paysage
qui s’est con­sumée au fond de mes yeux. Main­tenant, les traces
devi­en­nent cette écharde. Comme une ombre tra­ver­sant mes paupières,
Je me sou­viens d’un éclat déver­sé sur des zones de marais inondées
avec leurs arbres morts et gris qui se dressent tou­jours là
et  un ibis qui plane pour atter­rir. Un cor­don de poteaux de clôture
sur­nage au milieu, avant de se noy­er. Juste au-dessus,
deux hiron­delles qui cisail­lent s’évanouissent dans le soleil.

 

(tra­duc­tion : Mar­i­lyne Bertoncini)

 

Remem­ber­ing Floodwater

 

Back of the mind, it’s the white sliv­er which is
nei­ther misty trace nor mean­ing­less : it probably
isn’t snow, nor that glare effect of a white line
which the sea’s hori­zon can some­times have
on days when the air’s clear as untouched cellophane.
It’s a par­tic­u­lar white sliv­er, or smear of white,
like a patch of sand burst­ing through leaf-cover,
held for­ev­er, remem­bered, from some walk years back.
It’s the stripe of light on sand­hills towards dusk,
caught just once, recalled, seen again some­where else.
Or it’s untouch­able shad­ow on the white met­al of the roof
of the house next door, a shad­ow that’s also a silhouette
of a bougainvil­lea, cas­cad­ing red flowers
down the walls, over­grown round the drainpipes -
and, above the roof, three pel­i­cans hang­ing in the sky
as if they’re boats moored in wind-slopped water.

This is the bright­ness I usu­al­ly wake up to, or
which wakes me, after a night of dream­less sleep.
I slept like that last night. After weeks away,
I wake up once again in a house tran­quil as summer,
a house full of things (lamps, sinks, chairs, doors)
which do not need to sleep. Just for those first
few moments, after I’ve come into the kitchen,
every­thing’s as calm and cool as the fridge.
Then it hums qui­et­ly and the lazy, glid­ing pelicans
flap their wings. It could be once or always,
like a par­tic­u­lar sen­sa­tion which arrives and goes,
before it’s anchored, then felt again. Get­ting back,
I’ve that feel­ing that some­how things
have changed, when real­ly they haven’t:
per­haps they should have changed. They haven’t.
You’re still asleep. The neigh­bour’s roof offers
back a lit­tle ultra­vi­o­let to the unsmudged blue,
while I’m think­ing of the time away, the journeys,
the days and days on arid, high-speed roads. It could be
you’re dream­ing of it right this moment, curled over
like a slope of land. Noth­ing changes. Or per­haps it’s coun­try light
that’s burned itself behind my eyes. Now the trace
becomes that sliv­er. Like a shad­ow get­ting through
the lids, I remem­ber spilt-out glaze on flood­ed wetlands
with their dead, grey trees still stand­ing there
an ibis cruis­ing down to land. A string of fence posts
wades into the water’s mid­dle, before it drowns. Up close,
two swal­lows, scis­sor­ing, van­ish across the sun.

from Wild Bees

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