Maram al-Mas­ri : Du corps à corps sen­suel à la solidarité

(lec­tures de Par la fontaine de ma bouche & La robe frois­sée)

 

Poète syri­enne, Maram al-Mas­ri vit à Paris depuis de nom­breuses années et se con­sacre à l’écriture, à la poésie et à la tra­duc­tion. Par­mi ses dernières pub­li­ca­tions, une antholo­gie qu’elle a com­posée, traduite et présen­tée, Femmes poètes du monde arabe (Le temps des ceris­es, 2012) et deux recueils parus chez Bruno Doucey, Par la fontaine de ma bouche et La robe frois­sée.

 « Elle écrit une poésie claire et ten­due, où les femmes sont sur le devant de la scène de crime : battues, insultées, vio­lées, séquestrées, aban­don­nées », notait Patrick Besson à pro­pos de Maram al-Mas­ri en évo­quant Les âmes aux pieds nus (le Temps des ceris­es, 2008), recueil qui traite de la vio­lence sociale et domes­tique subie par les femmes, et Je te men­ace d’une colombe blanche (Seghers, 2007) où il est ques­tion du cou­ple, de l’amour blessé, de la séparation.

Par la fontaine de ma bouche 

Pour ma part, j’ai d’abord enten­du Maram al-Mas­ri à Sète, puis je l’ai ren­con­trée au Fes­ti­val Inter­na­tion­al de poésie de Saint-Martin‑d’Hères (près de Greno­ble) où j’ai pu appréci­er son affa­bil­ité. Entre temps, j’avais décou­vert son écri­t­ure avec Par la fontaine de ma bouche, pub­lié par Bruno Doucey (2011).
Éloge du corps dans une langue on ne peut plus sen­suelle, ce recueil chante la jouis­sance et l’art de se dénud­er pour mieux se livr­er à l’être, à l’autre et à son pro­pre aban­don à la poésie du monde : « je me débar­rasse de l’inutile / des écorces qui m’alourdissent » écrit Maram.
Le corps à corps y est aus­si glo­ri­fi­ca­tion de la féminité (« je me fonds dans toutes les femmes »), des seins, des ais­selles, du duvet du ven­tre et des sex­es, de l’amour char­nel et de l’âme ardente. Célébra­tion flu­ide d’un « corps fait de bais­ers / sculp­té de caress­es / hâlé de soleil / qui désire / qui embrasse / et jouit ». 
La poésie y appa­rait comme une forme du don : « devant vous je me dénude / doigt / par doigt / ongle par ongle / peau / et puis os / puis poème. »

La robe froissée 

Avec « La robe frois­sée » (Bruno Doucey, 2012), Maram al-Mas­ri reprend dans la par­tie inti­t­ulée « La femme à la fenêtre » des poèmes pub­liés dans un ouvrage col­lec­tif et nés dans le cadre d’une rési­dence itinérante sur le ter­ri­toire d’Artois et à Béthune. Ces poèmes d’abord écrits en français avant d’être traduits en arabe (l’édition est bilingue) sont donc le fruit du regard porté par une femme du Sud sur les paysages et les gens du Nord. Regard bien­veil­lant qui s’attarde sur la place où « les façades des maisons / sont vis­ages d’attente / les fenêtres, les yeux de la place / les portes, ses bouch­es » et où les maisons sont aus­si « témoins éter­nels / des car­a­vanes de l’Histoire ». Car si elle s’attache à soulign­er la lumière des manèges d’une fête foraine, le vendeur de barbe à papa, ou ces « pluies du Nord / (qui) sont des ver­res pleins de bière / que boivent les gar­di­ens de son ciel » elle n’oublie pas qu’ici « la guerre est passée / elle a plan­té des tombes ». 
De même, elle rap­pelle «  entre les fenêtres fer­mées / des bou­tiques à céder / et les maisons à ven­dre » que la crise rôde, comme elle note le sourire fané de la serveuse de bar érein­tée par le sur­croit de tra­vail alors qu’on a licen­cié ses col­lègues. C’est en douceur, l’air de rien, que Maram réin­scrit ain­si dans le quo­ti­di­en la dimen­sion sociale des détress­es humaines. Et avec cette même déli­catesse qu’elle invite dans ses pages les rêves échap­pés des têtes des dormeurs, décline « des noms, des lieux / des vis­ages, des êtres, des vies / (qui) tous sont des chan­sons pour les sou­venirs », ou qu’elle dit son sen­ti­ment de fra­ter­nité en affir­mant : « Les gens se ressem­blent quand ils sourient ».
Le temps qui passe et nous dépasse, thème récur­rent de la poésie de Maram, est encore bien présent dans ce recueil, qui s’ouvre par la ques­tion : « Est-ce toi Maram ? » pour répon­dre : « Sur mon vis­age ont passé / les bais­ers, le soleil, les vents / et les mains / Le temps y a posé / la robe frois­sée de son voyage. » 
Le temps, con­jugué à l’exil, donne sa tonal­ité mélan­col­ique à cette belle poésie limpi­de et douce :

« La poussière
Une voyageuse comme moi
Une immi­grante comme moi
Qui, mal­gré tout, ne s’enracine nulle part
Sans patrie
Elle vient de tous les horizons
Portée sous les ais­selles du vent
Le vent la ramasse avec son balai
Avec sa chevelure épaisse
Ou avec ses mains
Il la sème là où per­son­ne ne la soupçonne
Il la sème même dans le tiroir secret
Du cœur » 

Mais je n’oublie pas que Maram se veut aus­si sol­idaire, notam­ment de toutes les femmes en souf­france dans le monde, comme elle l’avait été avec Les Âmes aux pieds nus, et elle le prou­ve encore avec une antholo­gie qu’elle a com­posée, traduite et présen­tée, Femmes poètes du monde arabe (Le temps des ceris­es, 2012) où l’on décou­vre, loin de la tra­di­tion poé­tique arabe, des voix résol­u­ment mod­ernes — et la fer­veur généreuse d’un témoin de son temps. 

Ce texte a paru sur le site de Michel Baglin : http://revue-texture.fr/

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