Il s’agit de Sylvia Plath, auteur améri­cain, décédée par suicide.

Cri d’amour d’une recherche vouée à l’impossible, d’une quête à mul­ti­ples vis­ages où les rôles de chaque mort se con­fondent à sor­tir de l’ombre, des restes de mémoires, des sou­venirs, à ren­dre cha­cun à ses objets jusqu’à pou­voir les utilis­er, comme si de la langue rompue, sac­cadée par moments, une har­monie nou­velle pou­vait renaître, comme s’il y avait refus d’accepter  dans une accep­ta­tion quand même. Comme si la juste et mor­bide vision des choses pou­vait guérir et nous lancer vers un avenir où le même sort reste prob­a­ble. De ce monde réel, une fic­tion tend vers l’infini : la con­fu­sion des corps morts et vivants, leur inter­péné­tra­tion c’est-à-dire le refus d’accepter, dans un pre­mier mou­ve­ment.  Con­séquence : le lecteur ne sait plus très bien où il en est, qui est qui et qui dit quoi, des morts aux vivants et des vivants aux morts. Ce livre n’en est que plus prenant plus révoltant parce que l’on n’échappe pas à sa lec­ture, les faits s’imposent. Dans ces textes où dif­férentes per­son­nes se super­posent, non pas des per­son­nages, nous ne sommes pas dans un roman, un fil nous guide : Sylvia, dont des paroles sur­gis­sent pour con­firmer des textes, située par une belle qua­trième de cou­ver­ture à laque­lle j’ajouterai : J’ignore, Sylvia, d’où tu me par­les, … c’est ma voix même qui est à ce point char­riée par un vent tien, ren­ver­sée jusqu’à me faire penser que tes mots sont de moi …dit l’auteur. Echange qui se tra­verse à plein par la grâce d’une écri­t­ure qui ren­verse la mort ou plutôt l’inverse : Nous lais­sant vivre. Nous lais­sant. Nous. Dans une ouver­ture totale à être.

Et pour­tant que s’est-il trans­mis de ces mots. Des phras­es qui s’arrêtent en plein cœur du dire, des mots isolés qui nous lais­sent con­tin­uer seuls, des actions opposées soudées l’une à l’autre par mimétisme, comme si l’idée de la mort rendait pos­si­ble une ouver­ture, ouvrait une porte à notre monde de vivants, une con­ti­nu­ité, fusse-t-elle sèche. Mais non, la vie repart et s’ouvre au monde parce qu’il y a les choses plus tristes, plus sour­de­ment tristes. La mort enfin accep­tée parce que l’on se con­fond un instant avec elle, donne une  nou­velle nais­sance : les con­traires enfin réu­nis : la pour­ri­t­ure rare, exquise, précieuse.

Ecri­t­ure sou­ple, en va-et-vient qui laisse aux mots man­quants le soin de don­ner un sens plus pro­fond, plus secret. Une façon peut-être de ne pas pleur­er. Ecri­t­ure en clair obscur, nous lais­sant l’ombre à peu­pler. Sylvia où la vie, sa dou­ble face acceptée.

L’auteur en vient alors à la mort  lente de ses deux grands pères. Lente dégra­da­tion de leur entité physique et men­tale. Lent retour vers le néant, pas­sant par l’oubli, la con­fu­sion, l’abandon des éner­gies, celle de la con­science. Devenu pro­gres­sive­ment une chose : Que doit-on faire de toi ?, encom­brante et qui a fini par rejeter le monde. Tout meurt jusqu’à l’inversion, jusqu’à l’impossible présence, jusqu’à l’oubli du monde, le tout accom­pa­g­né d’inlassables répéti­tions, du retour à l’enfance. Tout cela est dit avec pudeur, sans retenue, sans rien cacher avec amour et tristesse en fil­igrane. C’est à nous et de nous qu’Antoine Wauters nous parle.

Entre les deux morts décrites, celle de Charles et celle d’Armand, Sylvia vient au sec­ours : Le sec­ours ne pour­ra venir que de l’écriture. L’auteur ajoute : quelque chose reste qui, lui, ne mour­ra jamais. 

Pour chaque mort, Sylvia crie vers un là-bas meilleur à l’ultime ques­tion : C’est encore loin ?

Il y a un devoir de mémoire dont s’acquitte A. Wauters. Mais tout reste au niveau des mots … tu me viens par Ariel, Sylvia. Pour­tant nous sommes dans le réel, il y a une volon­té de devenir ces morts, d’être eux jusqu’à dans leurs gestes, leurs paroles à endoss­er leurs vête­ments, à dis­paraître en eux. N’empêche qu’à terme, ces morts encour­a­gent à vivre quand on a su regarder la mort en face c’est-à-dire tourné vers l’avenir.

Il y a au fond de ces pros­es poé­tiques une thérapie, un monde qui s’élargit, qui ne meure pas et qui appelle. Nom­bre de pages en font la preuve par cette écri­t­ure nette, débar­rassée d’images, claire, vraie, celle qui nous rend con­fi­ance à con­tin­uer mal­gré la chose que l’on sait.

Nous sommes dans le domaine de l’anecdote, du per­son­nel, de l’intimité, mais par cette grande pudeur du dire, déjà men­tion­née, nous pou­vons, avec Robert Vivi­er, affirmer pour Antoine Wauters: Baude­laire jette son drame intérieur sur le plan uni­versel. La poésie avant tout, c’est d’entrevoir. Ces morts aimés se sont d’abord  effacés avant de mourir, n’y a‑t-il pas là une ultime lib­erté, une revanche même ? Ils ont tra­ver­sé le mur des mots pour enfin trou­ver l’espace, celui sur lequel on ne revien­dra plus, celui qui dis­ait : le ciel est bas et le jour est tremblant.

D’une con­clu­sion bien pro­vi­soire : chaque chose veille et tra­vaille à sauver son éter­nité, nous dit Jean Follain.

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