Ce recueil, Ta seule fontaine est la mer, est un mélange de fraîcheur, d’incertitude et de raf­fine­ment. Il y a une sim­plic­ité du dire qui est pro­fondeur et qui rehausse autant les sen­sa­tions que les idées qui n’apparaissent qu’en fil­igrane.  Il est le lieu de con­stata­tions déce­vantes et d’une volon­té, d’un espoir même de les sur­mon­ter. La lumière en est le fil con­duc­teur, tou­jours présente mais qui varie d’intensité le long de ce par­cours car il s’agit d’un itinéraire où l’auteur bute con­tre le vide, l’absence que rien ni les “mots” ni les “bais­ers” ne peu­vent combler. Vaste ten­ta­tive de se dépass­er mal­gré ce que l’on sait et de rejoin­dre quelque part un port même introuvable.

Quel espoir aujour­d’hui perdu.

 

S’affranchir du désir, de tous les désirs mais retenir toutes choses au fond du cœur, telle est la démarche fon­da­men­tale de ce recueil qui est en fait une leçon de bon­heur par l’acceptation et la trans­for­ma­tion du négatif en positif.
 

L’absence est un oiseau
qui tra­verse le ciel

Très beaux vers, presque impos­si­bles à com­menter telle­ment l’image en est forte, celle que l’on reçoit en direct au fond du cœur et qui un instant nous fait frémir. Mais, c’est un bel exem­ple de l’esprit du recueil, de son car­ac­tère feu­tré, du ton proche de la con­fi­dence mais tou­jours empreint de réserve, de retenue, une forme de politesse à l’égard du lecteur. Les con­traires s’y mari­ent par une sub­tile asso­ci­a­tion du con­cret et de l’abstrait, de la fix­ité et du mou­ve­ment, du plein et du vide. Thier­ry-Pierre Clé­ment aère le réel pour notre plaisir mais aus­si pour nous le ren­dre sup­port­able, et ce, par des mots sim­ples aux sonorités douces :

Tristesse
comme des lam­beaux de vête­ments usés
traînés trop longtemps
der­rière soi.
 

Des inter­ro­ga­tions qui remet­tent en cause notre exis­tence, Com­ment se ren­dre libre? , Qu’as-tu fait toutes ces années?, pour la pro­jeter devant nous de manière pro­fonde et durable, sans oubli­er que :

Ce matin
le soleil te chavire
en plein visage
par-dessus les toits
et les bourgeons
 

Quitte les bor­ds de l’absence
elle s’unit à la présence
où elles se joignent
la vie s’accomplit 
 

Il y a une révolte mesurée, celle à laque­lle on prête d’emblée atten­tion parce qu’elle n’est pas destruc­trice, elle con­stru­it aus­si bien le présent que l’avenir et qu’elle est équili­bre entre les deux. Il y a aus­si une beauté des textes dans leur force et leur fragilité qui sur­git légère, à peine appuyée. Les mots sug­gèrent plus une impres­sion qu’un sens et c’est le sens pré­cis de ces mots ordi­naires qui con­duit à l’émotion, à ce sen­ti­ment d’autre chose. Une forme d’effacement peut-être, une épure du chemin. Ce sont des coups de lumière lancés dans le silence et qui ne se font pas par des images mais par la seule magie de mots abouchés à la nature. J’apprécie beau­coup cette façon de dépass­er l’image, de sup­primer tous ter­mes de com­para­isons. Nous sommes plus proches du dire qui lève les obsta­cles. Thier­ry-Pierre nous rend tout présent  même le futur qui est déjà présent loin de son attente. Nous ne lisons pas ses poèmes nous les écou­tons. Le poète sait que pass­er la lumière, c’est livr­er pas­sage sans déchiffrer. La con­di­tion est de se dépouiller et de porter le chant même avec une faible bougie :

pour caress­er
accueil­lir
offrir au monde
 

et de con­clure par ce chemin de l’amour :
 

Laisse-toi
aimer.

 

Les mots touchent à peine la page, prêts à s’envoler ou à réin­té­gr­er la blancheur. Ils ne sont présents que l’instant de leur écoute. Ils don­nent leur lumière d’un coup et livrent pas­sage. Tout peut alors advenir, se trans­former mais surtout recom­mencer car il faut aller, le chemin n’a pas de fin. Voilà l’itinéraire, il n’y en n’a pas. Thier­ry-Pierre Clé­ment nous emmène vers la mer, le large, l’infini qui sont autour de nous pour y dis­paraître et attein­dre l’invulnérabilité : le som­met du recueil,  pour se per­dre ou se retrou­ver.

Reste l’ambigüité de la dernière sec­tion du livre : on peut y voir une renais­sance mais aus­si une mort. Dans les deux cas, c’est une forme de salut. 

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