M’appelez « poète », quelle blague ?

Tanikawa nous par­le de son monde dans ce qu’il a d’essentiel ( la vie, la mort, la mas­tur­ba­tion, les filles…) Il racon­te sans emphase, de la manière la plus plate, la plus vraie, des moments de vie qu’il ne con­sid­ère pas comme des expéri­ences ou même des choses à retenir : Tout ce que j’ai fait  jusqu’à ce jour /tout ce qu’à l’avenir je voudrais faire / on dirait que je l’ai oublié dans un coin, par mégarde,… Ce lan­gage cru et telle­ment sincère place tous les événe­ments  sur le même plan : les épais crachats comme le vent noc­turne. Tout est empreint du déroule­ment du temps qui passe où présent et passé se mélan­gent avec des pointes d’humour con­tenues parce que c’est d’un sérieux à vivre dont nous entre­tient l’auteur.

C’est une vie neu­tre, il n’y a ni attente ni espérance, elle va, dis­crète. Avons-nous quelque chose à appren­dre de ce présent ? Les con­tacts humains ne con­duisent-ils pas à une impasse et la manière de les dépass­er n’est-ce pas d’en rire comme d’une comédie bur­lesque? L’auteur ne racon­te que des faits quo­ti­di­ens qui accu­mulés con­ver­gent vers l’inanité de la vie. Der­rière la banal­ité des événe­ments se cache notre con­di­tion humaine : âpre, pré­caire où le déséquili­bre nous guette.

L’absurde a dépassé les mots, il est descen­du dans la rue et nous dévis­age. Fam­i­li­er, la révolte s’est éteinte. Il reste un peu de voix humaine détachée à tra­vers le vieux poste de radio. Seule vérité con­tre les fic­tions, l’écoute du monde même au fond du brouha­ha relâché. Toutes les choses du monde flot­tent, l’auteur ne s’attache à rien, cepen­dant qu’il éprou­ve la vie et qu’il cherche. Quoi ? Le mince, le ténu qui créent un lien fort entre le monde et l’homme. Plus on pro­gresse dans la lec­ture du recueil, plus les poèmes se den­si­fient sans rien per­dre de leur car­ac­tère coutumier.

Au milieu de la lec­ture de Tanikawa, de con­nivence, je m’arrête un moment pour caress­er mes chats Pirou et Mila. Le poète, non il ne veut pas être appelé poète, l’homme alors  nous rap­pelle sans cesse au monde, plus il s’en dis­tan­cie et plus nous nous en rapprochons.

Le lecteur ne peut se rac­crocher à aucun élé­ment de la langue pour palper le texte : images-rythmes-rejets-mots-métaphores-sonorités. La tra­duc­tion est tou­jours une perte par rap­port à la langue d’origine, bien qu’ici, Dominique Palmé nous donne un texte très beau, cer­taine­ment très proche de celui de l’auteur.

L’avion en papi­er, ce poème, est un art poé­tique où le poème ne promet rien / Car il laisse seule­ment entrevoir.
Quelqu’un vient de lancer un avion en papi­er de la fenêtre du vingt-huitième ou du vingt-neu­vième étage de mon immeu­ble. Le vent a joué avec lui comme avec n’importe quel morceau de papier.
puis il est allé s’écraser de l’autre coté de la rue, dans le park­ing du commissariat
mais avant cela il s’était essayé à un vol hor­i­zon­tal où il expri­mait toute sa dignité

 

Le poème part d’un fait divers et glisse lente­ment vers une abstrac­tion, un con­cept. La vie essen­tielle est cette part imper­cep­ti­ble qui gravite autour de nous et qui se propage comme un silence. Tout était présent avant l’apparition de l’homme, il ne fait que s’ajouter à ce qui résonne. Avec les mots, on avait cru saisir le monde. Il ne reste rien, le mutisme l’emporte et fait peur. Les mots ne sont que le décalque de la réal­ité : insignifi­ants.

Le but de la poésie serait-ce la non-poésie, ce silence son ultime con­quête ? Quand le poète ne revendique pas le nom de poète, si la poésie existe alors, elle brille seule. Serait-ce la dis­pari­tion élo­cu­toire du poète dont par­lait Mal­lar­mé ? La richesse de Tanikawa : un entre deux entre la poésie et le poète, point de vue par lequel le monde est vis­i­ble et viv­able. Sans espoir et sans joie. Il est comme le mont Yôkei, il suf­fit de le regarder de loin. Les mots sont au point zéro, ni haine ni affec­ta­tion. Ce qui compte c’est l’usage que ll’homme en fait, celui-ci peut débouch­er sur un  géno­cide. L’auteur vit entre la pres­sion des poèmes à écrire et du sen­ti­ment de leur inutil­ité. Il cherche sa juste place de vie priv­ilé­giant la soli­tude, Ignare au monde.

L’auteur a un souci de la vie et de toute vie, même celle des araignées. Je m’éloigne des hommes et devient calme-calme-calme. C’est plus que l’homme que cherche Tanikawa, là où l’homme meurt, la vie, elle, subsiste.

Tanikawa se veut poète qui échappe à la poésie, à bonne dis­tance, nous dit-il. Le poème échappe au mot, le poème per­met de s’oublier c’est-à-dire de se dépass­er puisque Quand je reviens vers moi, je ne suis qu’un être vivant, un homme incorrigible.

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