Il faut peut-être quelques efface­ments : celui que pour­voit la neige ou celui d’une grand-mère à l’hospice pour que s’opère une révéla­tion : « Dans ton cer­cueil ouvert / la mort t’a enfin ren­du ton vis­age. » écrit Paul Guil­lon (p.25) dans la deux­ième sec­tion de son très beau livre, une sec­tion presque prosaïque, car les douleurs que pro­cure l’apparente perte de rai­son d’un être cher con­vi­en­nent mal au lyrisme. Paul Guil­lon a per­du une grand-mère elle-même égarée. L’épisode est banal, mais il main­tient ouverte ce que j’appellerais l’hypothèse poé­tique. Dans ce désas­tre qu’il ne s’agit pas d’embellir, on se tient en effet à un cheveu de la beauté et – qui sait ?- d’une révéla­tion. Les poèmes de Paul Guil­lon, qu’ils par­lent de ce deuil ou de la vie urbaine, de l’amour ou des voy­ages en Ori­ent se tien­nent tou­jours du bon côté de ce cheveu. Je veux dire qu’ils cherchent l’empreinte plutôt que le néant, la trace, plutôt que la désespérance.

On me dira que l’auteur et son édi­teur aus­si sont chré­tiens. Oui, bien sûr et Paul Guil­lon ne cherche ni à en faire mys­tère ni à en impos­er le dogme. La foi qui tra­verse ce livre est certes une clé de l’intelligence qu’il pro­pose à son lecteur. Mais on ver­ra bien­tôt que cette clé tourn­erait fou si elle n’ouvrait un espace de sen­si­bil­ités com­munes. Ceux qui, pour des raisons sim­ple­ment idéologiques se priveraient de cette lec­ture se priveraient aus­si d’une belle expéri­ence humaine. « Je sais bien mon Dieu que per­son­ne ou presque / ne lit mes poèmes. / Je les écris pour toi » (p.52) Et le poète pour­suit alors son offrande en com­para­nt son œuvre à ces petits car­tons bricolés dont  les gamins font offrande le jour de la fête des mères.

On le voit, le Dieu de Paul ne loge pas loin de l’expérience com­mune et c’est après tout cette expéri­ence qui, comme chez Jean-Pierre Lemaire ou chez Jean Fol­lain, donne son poids de partage au lecteur.

Nous lirons  donc ici l’expression sincère d’une expéri­ence humaine partagée qui oppose la con­fi­ance à  l’ennui, la lumière frag­ile au néant. Le ton, très attaché au quo­ti­di­en de ce que cha­cun peut éprou­ver, où qu’il vive, se donne alors pour très dis­crète­ment sub­ver­sif. Il n’impose pas la foi, mais il dérangerait un monde qui, délesté de toute tran­scen­dance, lais­serait l’expérience humaine à ses pro­pres rap­ports de forces. Paul Guil­lon ne joue pas la vie sur un ring. Il accueille ce qui advient dans un silence qu’il sait proche mais peu vis­ité. En cela, il est auda­cieux et même vio­lent, si on veut suiv­re Apol­li­naire. Oui, l’espérance est vio­lente, même et surtout quand elle se chu­chote dans la vie sim­ple d’un poète.

 

 

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