Dans un paysage éditorial et poétique français dans lequel la part de la poésie d’Afrique noire est restreinte, la parution de ce volume est un bol d’air qui force le respect. On remerciera dont Thierry Sinda, professeur de littérature et de cinéma africain, critique de cinéma et président du festival Printemps des Poètes des Afriques et d’Ailleurs, festival dans lequel cette anthologie s’inscrit. Sinda nous offre un sacré voyage dans les pays de la négritude et de la néo-négritude. Ce qui est affirmé avec justesse, dès les premières pages, dans les mots de George Pau-Langevin : « Cette anthologie se veut le recueil des meilleures expressions poétiques sur l’amour qui ont illuminé les quatre dernières années de ce Printemps des Poètes des Afriques et d’Ailleurs. Ces poèmes s’inscrivent dans ce puissant courant de la littérature francophone qu’ont représenté avec talent Aimé Césaire et Jacques Rabamananjara ».
L’édition du festival était parrainée par Jacques Rabémananjara et Martial Sinda, et c’est sur leurs textes que s’ouvrent l’anthologie, juste après la présentation du maître d’œuvre Thierry Sinda, lequel affirme avec force et justesse que « le fleuve de la poésie africaine ne s’est nullement tari après Senghor et Césaire ». Il faut vraiment n’avoir jamais mis la plume sur le continent africain pour affirmer une bêtise pareille et l’on sait gré à Sinda de remettre les pendules à l’heure. Viennent ensuite les très beaux Chants pour une jeune congolaise de Martial Sinda, avec cet extrait que je choisis :
Reine-femme-nue-noire
Toi seule fais la fierté,
Toi seule est l’Annonciatrice
De la Paix et du Bonheur africains enveloppés
Dans un gouffre rouge.
Il est à noter que cette première partie du volume, comme l’ensemble de cette anthologie, est accompagnée de présentations précises ainsi que de photographies des différents poètes. Tout cela fait de cette anthologie un opus qui fera date.
La seconde partie est consacrée aux « Poètes invités d’honneur du festival ». Le lecteur y découvrira ou redécouvrira les poésies de René Maran, Léon-Gontran Damas, Raoul-Philippe Danaho, Aimé Césaire, Joseph Zobel, Léopold Sédar Senghor, Annette Mbaye d’Erneville, Paule Nardal, Kokou-Paulin Joachim, Bernard Dadié, Jean-Baptiste Tiémélé, Sébastien Matingou, Flavien Ranaivo, F‑X Mahah, Vital Heurtebize, Jacques Rancourt, Franck Della Motte et Le Quang Sinh.
Honneur ici à la négritude sur son versant féminin, avec cet extrait d’un poème d’Annette Mbaye d’Erneville :
Tu es homme, ce soir !
Tu es homme, mon fils !
Par la lame tranchante
Par ton sexe éprouvé
Par ta peur refoulée
Par la terre des Ancêtres
La troisième partie de l’anthologie est consacrée aux « Poètes des Afriques » et s’ouvre sur une superbe photo de Michaël Udofia, photo montrant la file des poètes marchant sur un trottoir, valise à la main. Une photo qui fait sens dans l’histoire d’ensemble de la négritude. Le lecteur trouvera amplement son bonheur à la lecture des textes signés : Marie-France Danaho, Louis-Philippe Dalembert, Ferdy Ajax, Daniel Illemay, Romuald Chery, Solal Valentin, Ozoua, Denise Chevalier, Enide Darius Gordien, Iverlene Worrell-Diallo, Seydou Beye, Amadou Elimane Kane, Nanou Youla Yansane, Sophie Cerceau, Alain-Alfred Moutapam, Evelyne Pèlerin Ngo Maa, M’Boka Kiese, Léopold Congo Mbemba, Henri Pémot, Thierry Sinda, Shoming, Fredy Jaofera, Francine Ranaivo, Antsiva, Houria, Ben Nodji, Touhfat Mouhtare, Habib Osmani, Fatima Chbibabe-Bennaçar, Ines Ouelasti, et Monia Boulila dont on peu lire des poèmes dans nos pages.
Parmi bien des perles, on peut lire ce poème de Fatima Chbibane-Bennaçar, Au bord de la volupté :
J’ai déchiré le silence
De la nuit sélène
Qui, par sa clarté,
Ravit ton regard
Eclipsant ma présence.
Moi, jaloux de la lune,
De mes mains brûlantes,
De mes tendres caresses
Et sensuelles étreintes
Je t’ai fait offrande
Pour que ton corps en naufrage
Me trouve à son secours.
De ma bouche suave
Coule un souffle brûlant
Qui donne aux rêves
L’espoir de se réaliser
La joie et le confort
Et retient ton corps
Au bord de la volupté.
J’ai semé avec confiance
Mille et une étoiles
Sur les chemins du désir
Où prennent source
Les rivières fécondes
Dans le clair-obscur
De nos plaisirs partagés.
Aux premières lueurs de l’aube,
J’ai levé, à la cadence de mon vent,
Les voiles de ton navire tanguant
Qui chavira avant de s’échouer
Sur la grève blanche
D’un rivage aux mille splendeurs
Nées dans les arcanes de nos cœurs.
Une quatrième partie propose des « Poètes d’ailleurs », avec toujours ce même souci de la richesse poétique : Giovani-Michel del Franco, Téodia Téodoro, Aude-Marguerite Schmitt, Rénaldo Guerriero, Dêva Koumarane et Jaimé Galdos.
Les dernières pages de ce beau livre comportent un index, des documents inédits et des annexes. Honnêtement, cette anthologie a vocation à figurer dans la bibliothèque de tout amateur et de toute amatrice de poésie.