tor­dre

 

c’est cette portée unique du regard,
à quelque lieu que l’œil touche,
qui donne à notre horizon
la forme alié­nante du cercle.

la ligne qui te scelle,
où ton vis­i­ble tombe, ôtée,
ôtée dure­ment la bague d’ennui,
le doigt tor­du de l’attrait t’invite.

 

 

ros­tre

 

deux sacs-poubelle,
comme deux tes­tic­ules, pen­dent à la grille de l’immeuble.
les plan­ta­tions de la cour tombent sur le trottoir.
sa façade est la seule de cette rue qui n’a pas été ravalée.
le bleu police des portes et por­tails — tou­jours le même -
con­tin­ue de s’écailler.
des coulures de rouille dégouli­nent des fenêtres
jusque sur les saillies.
seuls les garde-corps ont été changés,
mesure de sécu­rité afin de prévenir la chute.

à l’in­térieur des apparte­ments des incon­nus me toisent.
les regards soucieux, au moment du déclic sous la pluie.
une pluie glaciale qui n’a pas lieu d’être au milieu d’août.

à cent dix kilo­mètres de la mai­son que j’habitais il y a vingt ans,
je trace ces mots. d’après la photographie.
au loin un cor­beau prend son essor dis­cret d’un arbre mort.
un autre s’y pose.

que leur dirait ce nom ?
eux vivent là où nous nous dés­in­té­gri­ons. une famille entière.
une part de moi-même
voulait en faire un mémo­r­i­al à mes joies d’enfant.

clic.

mais bien vite
est remon­tée une débor­dante tristesse qui me serre la gorge.
je réa­juste ma capuche et disparais.

 

 

La route blanche

 

et puisque tu n’as de plus sen­si­ble fenêtre
sur le monde que cette véran­da au verre dépoli,
et dont tu ne sais s’il retranche ton intim­ité ou celle des autres,
tu ouvres ta porte.
c’est une nuit noire sur un socle de neige.
il y a une heure, les radi­a­teurs du voisin
depuis longtemps absent ont éclaté.
comme l’augure le vacarme des meubles
qui main­tenant nagent, bal­lot­tent et frap­pent les cloisons
de l’étage supérieur déserté, ton ciel, d’un plâtre
qui depuis peu pèse et trem­ble, est au bord de rompre.
alors te taraude l’idée de fuir
jusqu’à la mai­son d’où ta mère t’a chassé.
dehors est une nuit noire, glacée.
tu te perds sur ce tra­jet mal­gré tout familier.
la route blanche aveu­gle. l’air noir efface.
maisons, murs, trot­toirs, nulle part.
et ni lune ni étoiles pour guider. où ça ?
sur cette route blanche. entre deux portes connues.
mais c’est toi. toi. et cette neige glacée est tout ce qui éclaire.
cette seule lumière, ver­sée au sol, terrassée.
mais c’est toi. toi qui perds pied, gliss­es, tombes
sur la glace sans reflet. toi qui te relèves et retombes,
et qui ris de retomber.

 

 

Médi­ta­tion debout

 

On se recueille quand on marche.

On fait « régime de silence », oui
mais aus­si je veux dire : on agrège,

on con­signe par­mi la complication
des rap­ports les seg­ments significatifs.

Dans le silence médi­tatif assourdissant
on cherche un sens à l’histoire.

Mais par­fois marcher déçoit,
n’est qu’un mar­di gras de pensées,

une poly­phonie dis­so­nante de considérations
qu’on promène : on laisse piss­er ce chien,

et mille fois le même chemin pratiqué,
mille fois le même chemin varie du tout au rien.

 

 

Les pon­tons

 

Dans l’oscillation
des pontons
gauche­ment arrimés

nous courons
après une stabilité

mais ne restons
que des enfants
les hommes inachevés
que des enfants

dans l’oscillation rire-peur
cette sen­sa­tion de joie
aux reins et dans les genoux pliés

dans l’oscillation
des pontons
gauche­ment arrimés.

 

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