Avec Touch­er terre, Vin­cent Pélissier, par ailleurs fon­da­teur de l’une des revues fétich­es de Recours au Poème, la revue Fario (voir ici : https://www.recoursaupoeme.fr/revue-des-revues/la-revue-fario/matthieu-baumier ), donne à lire trois textes en prose écrits à la même époque : « Les lig­a­tures, les déchirures », « La fin du troisième jour » et « Marge ». Le ton est don­né d’emblée :

« La géo­gra­phie ordi­naire est une simplification ».

La force d’un texte se con­cen­tre sou­vent dans la puis­sance de sa pre­mière phrase, et ici celle-ci ne manque ni de force ni de puis­sance. Vin­cent Pélissier nous con­duit, le long de réc­its qui sem­blent en grande par­tie ancrés dans sa vie sans pour autant pou­voir être qual­i­fiés d’autobiographiques, sauf à en trahir le fil rouge expres­sion­niste, dans une res­pi­ra­tion entre l’extérieur et l’intérieur. L’extérieur : cette géo­gra­phie qui vit devant ses yeux tout en provo­quant force impres­sions en dedans de lui ; l’intérieur : cette autre géo­gra­phie, tout aus­si réelle et essen­tielle, qui vit en dedans de l’écrivain et qui, de notre point de vue, peut-être aus­si du sien qui sait ?, impres­sionne le réel extérieur. Car si la géo­gra­phie ordi­naire est une sim­pli­fi­ca­tion, c’est en par­tie parce qu’elle omet ce plus de réel qui forme une grande par­tie de ce que nous sommes : les ter­ri­toires intérieurs. Notre pro­fondeur. Et cet espace géo­graphique est ter­ri­toire de poésie. Par nature. L’humain n’est pas seule­ment au monde. Il est un monde, ou un ensem­ble de mon­des. Autant de mon­des que d’humains. Et peut-être autant d’humains que de mon­des. Il arrive alors que nous tou­ch­ions terre. Dif­fi­cile d’y échap­per. Mais ce qui touche terre n’est pas la sim­ple matière d’un homme, c’est un con­ti­nent en grande par­tie incon­nu, cela que nous nom­mons intéri­or­ité. Un con­ti­nent que nous rechignons aujourd’hui, par­fois, à explor­er, sinon sous le vête­ment de la psy­ch­analyse. Nos géo­gra­phies intérieures ne sont pas seule­ment psy­ch­an­a­ly­tiques, et peut-être même le sont-elles fort peu ; elles sen­tent l’humus, l’Afrique, le Mas­sif cen­tral, elles sont ce qui reste de la ren­con­tre avec cet homme étrange et isolé, comme ce qui est vu par l’enfant porté sur le dos d’une laveuse. Elles sont ce que leur dis­ent les paysages de l’extérieur, la manière dont ces derniers s’impriment pro­fondé­ment, ou non, en nos âmes. Elles sont une part, la majeure part, de notre géo­gra­phie com­plète, une géo­gra­phie née de la ren­con­tre entre le dedans et le dehors, oserais-je dire ici entre le haut et le bas. Elles sont un homme, ver­ti­cal, ten­du le long d’un fil à plomb reliant terre et ciel. Un homme qui touche terre, enrac­iné, la tête dans les étoiles. A moins que ce ne soit le con­traire. Vin­cent Pélissier donne un livre de poète qui ne sem­ble pas avoir l’apparence d’un livre de poèmes. Les apparences sont trompeuses.

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