De l’attente le jour ne dit rien, ne la dévoile pas.  Elle est là cepen­dant comme le manche de la cognée fer­me­ment tenu dans nos mains. On avance au fil des heures, bûcheronne avec la fer­veur qui met de la clarté dans le som­bre. On croît dans le moment où cette attente nous appa­raît vaine. Notre pro­gres­sion est réelle. Le corps en est com­plice. Et si le ciel penche un peu sous le poids d’un oiseau qui plonge, il demeure ami­cal sans que survi­enne la crainte d’un abaisse­ment imposant la fer­me­ture, noy­ant les lignes que nous avions tracées.
    Mais déjà les mots font défaut, impri­ment une allure de défaite. Il con­vient de redou­bler d’effort — d’accorder sa con­fi­ance aux arbres qui sans com­plai­sance se pro­jet­tent dans l’air , assurés d’eux mêmes et du sol dont ils s’éloignent tout en le ser­rant dans leurs ramures — , pour repren­dre, s’il se peut, l’outil avec un acharne­ment décu­plé . Ne pas se retourn­er, garder l’œil fixé sur une écuelle de lumière que lapent des ronces noires, y par­venir avant qu’il ne reste rien sinon un émail écaillé.

 

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   Pre­miers mots comme un vase de par­fum malaisé­ment local­is­able. Il nous pour­suit cepen­dant et en cer­taines heures nous baigne d’un sen­ti­ment d’étrangeté d’où le fam­i­li­er n’est jamais exclu. Mais il se présente dans sa fuite. D’abord c’est un allège­ment puis vient le moment où c’est une ten­sion qui nous acca­ble, nous met en alerte . Le monde d’hier nous entre­prend afin de nous bas­culer dans une aven­ture où l’effroi le dis­pute au bonheur.

 

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On a, bien sûr, l’éclat du jour. Est-ce trahi­son d’affirmer que rien ne le jus­ti­fie hormis, peut-être, sa loin­taine indifférence.
   Si d’un coup il se pen­chait sur nous, sur  nos travaux, durerait-il ?
   Nous le con­t­a­mine­r­i­ons. Il prendrait pitié, perdrait de sa lumière. Nous lui feri­ons un cortège d’ombres. Il par­ti­rait en lambeaux.

 

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Ce qui se présente c’est la cime  des arbres bar­rée bru­tale­ment d’un vol d’hirondelles égarées sans doute à cette heure tardive.
   Bien­tôt ne demeurent que les herbes hautes devant le seuil où je me tiens avec pour com­père le chien  inqui­et ou sim­ple­ment éton­né de voir se chang­er la con­trée en un entrelacs d’ombres.
   Nulle­ment enne­mi, plutôt pro­tecteur, s’allongeant presque sere­ine­ment, échap­pant au jour qui fut d’une belle lumière mais rigide, cer­taine­ment trop solen­nelle avec ses céré­monies d’eau, de pier­res, de fauss­es transparences.

 

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Alignées une aile con­tre l’autre, bien­tôt elles se ruent en tour­bil­lons, se dis­persent pour ten­dre dans l’air les fils où le mot joie vien­dra se pren­dre. Ce pour­rait être le vœu que nous for­mons afin de nous alléger, nous désen­com­br­er de ces pen­sées qui nous tien­nent cap­tifs d’un encom­bre­ment général.
   Nous retenons les pas­sagères étoiles. Le ciel est froid, la terre aus­si. Le mot joie intraduis­i­ble nous pour­suit dans  un son grêle  —  une envolée d’hirondelles.

 

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   Ces herbes hautes ne sont ni des hail­lons ni des plantes mau­vais­es. Elles occu­pent un espace que le cadas­tre a oublié. Rien ne les dérange hormis notre pas­sage. Le silence sif­flant de la faux n’est pas dans leur mémoire. Mais le jour venu elles se coucheront, déposeront sur le sol une litière spongieuse. Nulle voix audi­ble, nul effort vis­i­ble. Un tra­vail obscur pour un retour vivace.

 

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Ce qui descend c’est une couleur frot­tée d’un noir de suie. D’une légèreté à peine con­cev­able, elle se dépose avec la dis­cré­tion d’un loup guet­tant une improb­a­ble proie, la reni­flant de toute l’attention de son pelage.
   Le silence par­ticipe de la quête. Il luit comme une pomme à la teinte que l’on dirait cirée tant elle ray­onne, unique, sur la cor­beille à fruits.
   Peut-être rassem­ble-t-elle un soleil retenant encore un drapé rougeoy­ant mais déchu de ses anciens pou­voirs car vain­cu dans on ne sait quel com­bat. L’adversaire cepen­dant aura échoué à lui retir­er ce qu’il lui reste : don­ner le change.

 

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Il y a une hési­ta­tion – un rien
qui claudique

Le jour point

C’est l’éclairement
d’un bord de table

Plus tard nous parlerons
de son enlace­ment avec la lumière
quand les arbres
une fois visibles
porteront sur leurs épaules
un ciel sans coutures

 

 

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Ceux-là

— mots chuchotés
au bord de la table
avec le commencement
du jour
ni gais ni tristes
sans attaches –

flot­tent, se replient,
s’avancent
crois­sent à mesure
que le bruit s’élève

jusqu’à la vague incessante
dont nous sommes les jouets
roulés
sur les gouffres

 

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Des mains nombreuses
taiseuses pour la plupart
se sont frot­tées à la table

Les vis­ages rosissaient
avec la chaleur que le bois
dis­pen­sait ou le vin
ou ces regards
qui regar­daient droit

Sommes- nous certains
que cela fût ?

Les images ont un socle
d’indécision. .Si elles éclairent
c’est à la faveur d’une porte
qui s’ouvre

Entrez donc ! On la reconnaît
entre toutes cette voix légère
Ne serait-ce pas le doigt de l’enfant
désig­nant ce qui l’étonne et le ravit ?

Avons-nous franchi le seuil ?
Non !
Nous nous sommes retournés
pour partir

Dans notre dos
les portes se ferment

 

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La crainte croît
à mesure que nous avançons
sur une terre sans arbres
dans l’air dépourvu d’oiseaux

Devant c’est une feu d’eau
blanc où s’effile une barque
La sil­hou­ette du barreur
qu’on dirait fraîche­ment charbonnée
nous fait signe soudain

Pour­ra-t-il la men­er à la rive et
nous y pren­dre place
aus­si sim­ple­ment qu’on s’assied
à la table d’un hôte ?

Il y a sur la gauche
un chemin immobile
à cause d’un grand chien
qui regarde

 

Aurons-nous quelque chose
encore à perdre ?

Nous n’avons rien égaré
des jours , les disposons
à mains nues dans l’herbe haute

Nous peinons à nous étendre
sur la nuit

 

 

— Poèmes extraits du recueil Tous les fils dénoués suivi de Noc­turnes , à paraître chez Folle Avoine
 

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