Il arrive que le « reportage » se dégage du sim­ple témoignage pour devenir une œuvre poé­tique au sens plein. La vie (si l’on ose dire) se donne à nous. Andoche Praudel — comme il l’a déjà prou­vé — coupe le réel en tranch­es ou plutôt le découpe du dedans puis l’ouvre en éclate­ment lors de l’interrogation finale :

 

« Gerbes, poubelles au gabarit
Gra­vats, ruines, résidus, boue, bris
Rouges et blanch­es pelles tricotent
Bull­doz­ers ruti­lants démêlent
(…)
Un seul arbre sur 70000
Table des matières
Un pin gracile est demeuré
Pourquoi ? »

 

Le poète revient sur le lieu japon­ais où la terre s’est noyée et désor­mais s’enterre et brûle par radi­a­tions pour en pro­pos­er une fig­u­ra­tion de ce qu’on ne con­naît pas et que les pré­ten­dus reportages caviar­dent. Praudel, en ses scan­sions poé­tiques, crée  un livre qui devient un lieu de ver­tige. Il creuse et recreuse mille fois dans le sable irradié. Le poète prou­ve que le Japon mutilé n’a pas de fron­tière et que tout  peut recom­mencer là-bas comme ici. Ce chant pousse le logos volon­taire­ment à la lim­ite de la pen­sée afin — juste­ment — d’imaginer l’impensable dont le loin­tain est tout proche. On peut alors par­ler de ce livre comme le cri silen­cieux du cri qui pour­ra nous échap­per  et que nous enten­dons déjà nous rejoindre.

Pour autant et mal­gré tout chaque poème ne donne pas que sur la mort. Il offre le pas au pas, à la vie  comme  à la mort du moins celle qui nous est don­né. On se sur­prend alors à relire et relire un tel chant, son dynamisme, sa lucid­ité, ses  paysages blancs et noir dont tout exo­tisme est ban­ni. Il faut en effet s’en saisir, s’en rem­plir non pour un exor­cisme mais pour être face à ce qui se dérobe et qui para­doxale­ment nous envahit. Il con­vient de se con­fron­ter à ces vignettes de moments  et de lieux néces­saires pour ne plus être des exilés ou des sauvés bien précaires.
 

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