QUARTIER BLANC

   à R.P.

Si tu viens un jour
je ferme les yeux
je laisse les yeux
je laisse le bleu
mordre

Mais tous les printemps
ne sont pas présents
dans une seule
vie

Toi tu prends le marbre
l’or les églantiers
moi je garde dans mes plaies
le sable

Un jour si tu rentres
dans le jardin clos
tu ver­ras mes os
fleurir

Le lilas griffer
la rose blanchir
et les orties tordre
l’été.

  Oran, févri­er 1953

 

(Poème extrait de Les Désor­dres, éd. Saint-Ger­main-des-Prés, 1972. © Les Hommes sans Épaules éditions).

 

 

HÉLIOPOLE

1

Après l’Enfer voici une saison
Belle comme la lune avec ses enfants.

2

Belle ?

3

Une ville de chardons
Prise dans le verre bleu de l’aube.
On n’y atteint qu’après avoir longtemps longé
Le rem­part de cactus
(En toi aus­si, cal­cinées, les fleurs tail­lent l’injure
(Les poches bour­rées de sourires,
Mais qui forcera leur blue-jeans ?).
Dans les faubourgs un par­fum assaillant
De géra­ni­um, de tomate et d’urine,
Auréole les macs joueurs de dominos.
Les femmes sont dans les murs.

4

Et cette ville ne fut qu’un souhait de la détresse
Pour con­jur­er les bagnes de ton sang.
Entre­vue (comme l’os sous ta plaie). Imaginée.
Pour qu’un mot puisse à l’autre souder
Son avenir.
Mais que pour­rions-nous bâtir sur des nénuphars ?
Déjà l’impériale moisissure…

5

Sinon ces plages triomphantes
Un redent de blessures
  Mais pas
Ce bas-quarti­er d’ulcères !
  À force de se fuir
Nos lèvres, ce sont les mots qui fuient, nos phras­es qui s’agressent.
Quelques mégots froids nous tien­nent lieu de bivouac.
Ni magie ni présence.
  Le glas
Lanci­nant qui d’une vertèbre à l’autre
Égrène encore un nom (le car­bone usé d’un regard).

   

(Poème extrait de Les Désor­dres, éd. Saint-Ger­main-des-Prés, 1972. © Les Hommes sans Épaules éditions).

 

PANOPLIE

1

Alors il fut per­mis à cha­cun de périr selon sa joie.
Les mots n’encombraient plus les vertèbres
Ni la moelle notre horizon.
Toute haie abolie tu allais du pas de ceux qui n’attendent plus de halte
Et savent autour du sang ce qui est pous­sière de l’astre, ce qui est para­phrase du néant.
Dieu mugit dans le désas­tre de tes doigts.
Souhaiter a disparu,
Toute saisie, tout orage.
Le sexe – et lui seul exista plus ferme que ton âme –
A dis­paru, la pulpe du poème
N’est même plus trace de sperme.
Vivant, il ne restait plus qu’à périr dans la mul­ti­tude des jours.
(Sous l’ongle, le fuit glacé et la glaire d’accueil).
Cha­cun selon son orgasme dans le néant de Dieu.

 

2

Mes mots, vertèbres transfigurées.

    Pointe-Pescade, Bli­da, Alger
    12 jan­vi­er – 29 novem­bre 1968

  

(Poème extrait de A‑Corpoèmes  in Jean Sénac vivant, éd. Saint-Ger­main-des-Prés, 1981. © Les Hommes sans Épaules éditions).

 

image_pdfimage_print