Poésie païenne que celle de Guil­laume Decourt. Les deux pre­miers recueils (La Ter­mi­tière aux édi­tions Gros Textes, Le Chef-d’œu­vre sur la tempe aux édi­tions du Coudri­er) l’avaient déjà illus­tré. Le troisième, Un Ciel soupape, est à cet égard une con­fir­ma­tion. Et il faut don­ner à cet adjec­tif l’ac­cep­tion orig­inelle du terme latin « paganus » : ver­nac­u­laire, attaché à la terre. Les fig­ures fan­tas­magoriques qui la hantent, et que l’on pour­rait aus­si appar­enter à des êtres mythologiques, sont des divinités de la terre et, sin­gulière­ment, de la fécon­dité. Qu’elles soient féminines, alors elles sont abon­dam­ment humides, qu’elles soient mas­cu­lines, alors elles seront vigoureuse­ment ithy­phalliques : à la fois turges­centes et fécon­des, tou­jours prêtes à recevoir la semence ou à la faire jail­lir. Ain­si celle qui « fut bénite au basil­ic » et « ne red­oute point les pro­ces­sions » est la même dont le sexe « cha­touille orgueilleuse­ment celui qui le fouit avec un savoir d’octopode ».

Cette fer­veur païenne ne saurait aller sans un rite qui est, comme on l’at­tendait, entière­ment dépourvu de tout hori­zon tran­scen­dan­tal. Ce qui fait s’ex­clamer le poète, sur un mode tri­om­phal : « Je touche bien le bout du monde ». Car il s’ag­it de touch­er la chair du monde, ou d’être touchée par elle. Point d’e­sprit, ici, ni de spécu­la­tions, mais une chair vibrante, bandée. Ou plutôt : l’e­sprit s’est résolu en une matière pétrie d’in­tel­li­gence, et tout le tra­vail du poète, est de ressen­tir, et de don­ner à ressen­tir la pro­fondeur et la richesse de cette chair du monde.

Or, quand il s’ag­it de célébr­er ce monde clos sur son indi­ci­ble sur­puis­sance, la parole est l’in­stru­ment le plus effi­cace, et elle devient acte, de même que dans les rit­uels mag­iques des peu­plades pre­mières : « Toute parole en l’air manque tou­jours d’en­sevelir. » Le poète chante l’amour du monde tel qu’il est, indif­férent aux idéal­ismes desséchants, mais imprégné, tel un fruit délec­table, de toutes les sèves : « Foutaise de ce qui est en puis­sance et grésille­ment des cigales encore bien après la fin du jour. » Ici, comme l’an­nonce le titre de l’un des poèmes du recueil, on ne part pas en expédi­tion vers quelque roy­aume à con­quérir au delà des ter­res con­nues, mais on cabote. Cab­o­tage fructueux, où le nau­tonier, étreint par le pressen­ti­ment inquié­tant de la mort, trou­ve aus­si une vic­toire qui, pour être intime, n’en est pas moins sublime.

« Elle — femme au regard \ Eloigné – \ Sur­git déjà de l’eau \ Nue comme un psaume \ Il s’agira de vivre \ Maintenant »

Poésie d’au­tant plus forte que, situ­ant son foy­er en dehors de la sub­jec­tiv­ité du poète, elle est tournée vers l’autre et l’ailleurs. Toute chose, fût-elle quo­ti­di­enne ou vul­gaire, trou­ve sa place dans le poème et, devenant naturelle­ment mot et rythme, accède par là même à l’é­tat d’ex­is­tence supérieure que lui con­fère le verbe poétique.

« C’est encore un moyen par­mi d’autres de trem­bler à l’irréductible ». 

image_pdfimage_print