Je fai­sais il y a peu (ici)  un rap­proche­ment entre les poètes Paul de Roux et Guy Gof­fette, et surtout entre leurs poésies – qui n’ont de « quo­ti­di­en » que l’ignorance de ceux qui emploient ce mot. Et, en effet, de Roux et Gof­fette sont poètes proches, ce que mon­tre la con­struc­tion du vol­ume de Guy Gof­fette pub­lié dans la col­lec­tion de poche « Poésie » des édi­tions Gal­li­mard, vol­ume qui s’ouvre et se ferme avec la sil­hou­ette de Paul de Roux. Il y a entre eux cette prox­im­ité humaine et poé­tique, celle qui instau­re un vrai dialogue :

 

Vieux et per­du comme un cheval
au bord du clos d’équarrissage,
et mort d ‘avance à toute idée de retour
dans l’herbe ten­drement verte

du passé, je lécherai peut-être aussi
le salpêtre des murs. Le ciel fasse
que ce soit comme ce frère à Turin
qui lécha le vis­age de Nietzsche

où tout – grandeur, effroi, savoir,
avait som­bré, ne laissant
au milieu des larmes et par­mi les rieurs
qu’un homme comme une route

quand elle ouvre la mer.

 

Le poème est dédi­cacé à Paul de Roux.
Trois ensem­bles de textes de Guy Gof­fette sont ici pro­posés aux lecteurs, ensem­bles de dif­férentes épo­ques. Une bonne façon d’entrer dans sa poésie, pour ceux qui ne la con­naî­traient pas encore. Jacques Réda donne une pré­face jouis­sive et cepen­dant sérieuse (il n’est de jouis­sance authen­tique que sérieuse) en forme de poème enjoué, poème d’où ressort la forte com­plic­ité qui les unit. On ressent, dans les mots de Réda, l’état de l’esprit de longues con­ver­sa­tions tenues en marchant. Il y a de la cir­cum­am­bu­la­tion dans l’air. De Paris, cela va sans dire.

 

Sommes-nous dénoués de tout, moi qui n’ai, toi
qui n’as
Rien d’urgent à trou­ver que le chiffre qui manque

 

écrit le poète Réda au poète Gof­fette. Con­ver­sa­tion d’hommes. Ici se trou­ve ce qui est en poésie le plus impor­tant : l’amitié. Et cela occupe une vie, sinon plusieurs.
Je ne con­nais pas Guy Gof­fette. Il m’a cepen­dant, jeune, fait décou­vrir Rim­baud. Cela ne s’oublie pas. Un doc­u­men­taire, le lycée, la dis­tance et le choc que cela impose alors. On ne par­le pas assez de ces enseignants mirac­uleux, ceux qui font entr­er Rim­baud dans votre vie. Et Charleville :

 

Avec six mois de retard sur les oies
sauvages, cent vingt-neuf ans après l’as
des fugueurs arden­nais et son mer­dre à
la pois­seuse poésie, j’ai quitté
Charleville et l’inconnue d’en face
dont les den­telles fes­ton­nées de givre
bat­taient avec mon cœur con­tre la vitre.
J’ai fait un signe à la Meuse baignant
dans sa lux­u­re verte, et dit Allons,
mais sur deux jambes, au dia­ble le génie.

 

La poésie de Gof­fette nav­igue à la join­ture des mon­des intérieurs et extérieurs dont nous par­ticipons tan­dis qu’ils par­ticipent de et en nous. Il y a du liant dans cette poésie-là. Et dans ce poète écrivant à l’attention de Mar­i­lyn Hack­er que « ce qui est grave » c’est « d’avoir oublié que l’homme » est « plus vaste et pro­fond que la mer ».
Guy Gof­fette est ain­si ce poète, celui qui dit :

 

Je me sou­viens seule­ment d’un ciel sans fond.

Car :

Tous nous savons cela : qu’un fruit tombe
quand le soleil l’a gon­flé jusqu’à la lie
et que la terre n’en peut plus de tourner
autour comme un poti­er reprenant sans fin

son ouvrage, et la fatigue tout d’un coup
le sur­prend, la nuit encom­bre ses yeux
ou c’est la camarde qui frappe dans son dos
comme un voleur, et le pot ou l’assiette

soudain sur le sol éparpille cent étoiles,
cent étoiles dans l’atelier, qui relèvent
un instant toute chose de la ténèbre
et de l’oubli : Icare, la pomme, ce que

tous nous savons et refu­sons de voir.

 

Alors, « Pau­vre voleur, qu’est-ce que tu croy­ais ? », osera-t-on répéter avec le poète Guy Goffette.

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