Le livre est com­posé de qua­tre ensem­bles poé­tiques, il com­mence par Le Grand voy­age et se ter­mine par Le muet chante. Les pages s’ouvrent cepen­dant sur une belle pré­face de Bernard Noël. Un poète que l’on ne con­naît pas et qui béné­fi­cie de la plume d’un tel pré­faci­er, cela attire l’œil. Le texte de Bernard Noël com­mence ain­si : « Le touch­er unit Je et Tu : il prive un instant les mots de leur pou­voir car le geste propage un silence. Puis je ou Tu fait signe et la nudité de la let­tre s’étend entre eux et les sépare. Con­séquence : « deux puis un et un / touchés intouch­ables ». Ces deux vers, dans leur brièveté extrême, con­densent l’irrémédiable. Leur sim­plic­ité dis­simule la vio­lence trag­ique de la sépa­ra­tion et de la fatal­ité ». Et en effet, le livre refer­mé, on saisit la per­ti­nence de la lec­ture faite par le poète des mots de sa condis­ci­ple. Les poèmes de Rodows­ka sont con­cis, dans un geste con­traire au lyrisme. Nous ne diri­ons pas, comme le fait Noël, que cette poésie est théorique­ment « anti-lyrique » car, si elle l’est effec­tive­ment dans sa forme, on retrou­ve en son sein bien des élans du chant – sur le fond. Elle échappe, de mon point de vue, à ce vieux débat qui ne cesse de resur­gir comme un ser­pent de mer. Un débat dont l’intérêt est devenu tout relatif quand nous vivons ce temps-là. Celui de l’exil du poème hors du monde faux qui se pré­tend main­tenant réalité.

De quoi par­le la poésie de Rodows­ka : des corps et du corps, du lan­gage, des liens et des désunions, de la mal­adie et de la mort. De la renais­sance au-delà des affres de l’existence, des nais­sances et des renais­sances mul­ti­ples. C’est une poésie qui con­tient une cer­taine forme de mys­ti­cisme nous dit le pré­faci­er, ce à quoi nous souscrirons. Une poésie qui sait l’enjeu con­tem­po­rain, en ce début bien entamé de 21e siè­cle. Et ce qui est en jeu ne s’inscrit plus dans les débats d’hier, sur les formes poé­tiques, mais plutôt sur le rôle du poème dans la désunion en cours entre l’homme et la réal­ité du monde. Devant un tel enjeu, la ques­tion qui se pose est immé­di­ate­ment celle de la poésie. Ce que Rodows­ka sait bien, elle dont les vers s’inscrivent dans une quête de ver­ti­cal­ité. Du coup, l’acte de sim­plic­ité qui car­ac­térise cette poésie peut être com­pris, et c’est ain­si que je le com­prends, comme un dépasse­ment des débats anciens, un acte de réu­nion. L’acte de ceux qui sont en chemin, lais­sant là le stérile et le déjà mort, au prof­it de la Geste poé­tique conçue comme recours face au Mal qui est déjà là.

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