Voilà un livre de poésie bien con­stru­it : trois par­ties qui stim­u­lent le lecteur… Le pré­faci­er com­pare l’au­teur à Rim­baud : “On peut atten­dre d’un jeune homme qu’il soit, selon le vœu de Rim­baud, «absol­u­ment mod­erne». Vic­tor Blanc l’est.” Et le dit pré­faci­er de cern­er la moder­nité de Vic­tor Blanc, l’au­teur de Par­adis argousins : util­i­sa­tion du lan­gage infor­ma­tique, de dif­férents vers (comp­tés, rimés, libres…), références à la poésie du passé… Mais le lecteur se méfie car on lui fait régulière­ment le coup du lit­téra­teur (romanci­er ou poète) qui, à vingt ans, vient de pub­li­er un livre génial… Ça finit en général par un flop : l’un arrête d’écrire pour par­tir au Harar, l’autre meurt de la typhoïde et beau­coup retour­nent à l’ou­bli… Il faut donc juger sur pièce, lire atten­tive­ment le livre sans tenir compte des dithyra­mbes de la cri­tique… Au risque de se fourvoyer !

    Vic­tor Blanc, “mod­erne” ? Suf­fit-il de “délaiss­er les livres de jadis pour le creux des écrans” pour être mod­erne ? Qui se sou­vient des TO7 aujour­d’hui quand les Mac­BookPro font florès (pour un temps !) ? Gageons que Poésie#404 sera une curiosité illis­i­ble dans une ving­taine d’an­nées. Suf­fit-il d’écrire “enfi­lant à la per­le / les beaux culs blêmes” pour faire mod­erne ? L’acte ici décrit est vieux comme le monde. Ou encore d’écrire : “Mon sexe est un pot d’échappe­ment en retard et bla­fard” ? Je ne sais que penser de cette image osée : est-elle ridicule ou fait-elle penser à la ren­con­tre d’un para­pluie et d’une machine à coudre sur une table de dissections ?

    Lisons donc atten­tive­ment Vic­tor Blanc sans s’ar­rêter à ces scories. Heureuse­ment, ses poèmes sont tra­ver­sés d’é­chos des livres de jadis et même de jeux de mots approx­i­mat­ifs (comme “Au lit soit qui mani­gance” qui n’est pas sans faire penser au célèbre “Hon­ni soit qui mal y pense”) qui témoignent de la saine atti­tude de celui qui ne s’en laisse pas conter.

    Le titre du recueil (qui est aus­si celui du deux­ième ensem­ble de poèmes) et le titre du pre­mier ensem­ble sont remar­quables par deux mots rel­a­tive­ment oubliés de nos jours : argousins et panop­tique. Un argousin (en argot) est un polici­er (flic ou maton) tan­dis que panop­tique ren­voie à l’ar­chi­tec­ture péni­ten­ti­aire de la fin du XVIIIème siè­cle qui aurait per­mis de tout voir, de tout con­trôler à un gar­di­en située au cen­tre du dis­posi­tif. Ces deux ter­mes sont révéla­teurs de la société cap­i­tal­iste (libérale) avancée (vers quoi ?) qui entend tout sur­veiller (faut-il rap­pel­er Les grandes oreilles et les autres gra­cieusetés de la CIA et, à un moin­dre niveau tech­nologique, les agisse­ments des officines publiques et privées ici ou là ?).

    Mais Vic­tor Blanc par­le de faits con­tem­po­rains, il ne se réfugie pas dans un passé sup­posé poé­tique, il par­le de syn­di­cats, de poli­tique, de Révo­lu­tion, du prof­it des uns et de la pau­vreté des autres, du chô­mage, de slo­gans… Il se gausse des deux derniers prési­dents de notre belle république, don­neurs de leçons aux pau­vres…. Bref, il met les mains dans le cam­bouis. Mais sa poésie n’est pas aux ordres, elle ne répète pas des slo­gans poli­tiques ou syn­di­caux. La preuve, le lecteur la trou­vera dans la Chan­son de Jean de la Crise qui emprunte ses tour­nures aux formes poé­tiques du passé, aux chan­sons révo­lu­tion­naires, à la langue de bois des pro­fes­sion­nels de la poli­tique… C’est bien venu, bien artic­ulé, ça chante à sa façon et c’est jubilatoire.

    Toute poésie est de cir­con­stance, seule sub­siste celle qui reste lis­i­ble une fois les cir­con­stances oubliées. On peut trou­ver dans Par­adis argousins de beaux poèmes de révolte et de dégoût (comme Un nom). On peut se dire que Vic­tor Blanc ne con­damne pas le lyrisme, il en use même, ni le chant. Pour le reste, il faut atten­dre et, pour ceux qui aiment le risque, parier…

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