Victor Malzac, La javel

Par |2023-09-06T21:42:17+02:00 5 septembre 2023|Catégories : Poèmes, Victor Malzac|

je n’aurais pas dû te cacher

non, que j’étais comme

comme un immense puits,

une très longue douche froide, qui

n’aura jamais guéri de ça,

pas un jour n’aura guéri de ça,

une douche pas chaude et qui ne guérit

rien, stricte­ment rien, rien de ce jour, de quand,

quand j’ai déménagé

du corps, dans les car­tons mon corps, le pull, dans le camion,

mon chien le chien d’amour, ma chi­enne mon unique

nervure, mon amie, mon poteau,

qui n’aura jamais non plus guéri de ça,

ce jour, ce change­ment, le linge de ma mère,

de mon père debout, gen­til, vivant, gentil,

et ça, ce ça, cette ten­dresse pour les autres

et les garçons

I

la jav­el

mer­cre­di

comme une immense douche

 

tu sens comme ça sent moi la jav­el une très longue douche

pas chaude et qui ne guérit rien.

 

mais j’ai lavé mes draps

pour­tant. lavé mes draps pour

qu’on ne sente rien, pas mon odeur.

l’urine et les médica­ments, moi j’ai

 

rac­com­modé des bouts de linge, ça sen­tait mauvais

ces gens.

 

II

quand je pense à ces gens la vase

monte

 

monte à con­tre­sens je me

je me sou­viens du pire tu as vu

tous les ans pour mon anniver­saire personne

 

ça sèche oui voilà mais quand elle arrive la vase

en nom­bre, en boucle et trop vite aux narines

je peux te dire

 

c’est ça qui rend qui donne

à mes lessives ce par­fum de rongeur

 

des piles de lessive tous les jours non

mais ma mère avait pour cou­tume de jeter le matelas.

cela ce n’est ce n’est pas tout à fait la vase mais les restes

sur les draps oui par exem­ple tout jeter tout ven­dre mais qui

qui peut qui oserait acheter ça non me sentir

 

III

et ces gens

tous ces gens dont je n’ai pas fait

le décompte ou le tri

 

hein

 

froids froids les jambes les pieds les genoux les avant-bras

l’atroce froid comme un très long dimanche sous la douche un jour

ma peau sent si mau­vais l’odeur

l’odeur du linge un jour

sans force ou pain sans pain sans plaisir les mêmes

pas les mêmes les autres les gens tous la même nour­ri­t­ure le repas mau­vais j’ai commandé

sans désir sans argent sans volon­té sans rien ces bras

 

trop durs ces bras les bras des gens les gens violents

jamais vrai­ment gen­tils d’ailleurs cachés

voulant mes draps mais non pas toi ton poids.

 

les gens ces gens ont les bras pleins les bras remplis

d’hormones d’hommes de suçons peut-être moi pas moi tous ces coups ces corps

ces corps qui fai­saient trop et déjà rien ces corps

à qui j’ai don­né ma chemise

 

et mon pain mon tricot

 

et tout l’argent de mon salaire

 

et tout le con­tenu de ma valise

 

et pour qui j’ai fait la vaisselle

 

et dor­mi

 

et pour qui j’ai voulu dormir

 

sans politesse qui m’ont vu dormir

 

plus ou moins nue plus ou moins moi dormir

 

hein

 

ces gens qu’on rac­com­pa­gne en voiture

à l’entrée de chez eux la nuit le soir la mort

l’orgasme nul la mort mourir d’ennui ces gens

qui ne veu­lent pas qu’on dorme là

qu’on dorme là

 

juste là non sinon dans l’hôtel à

à la porte là juste la porte d’à côté

ces gens qui veu­lent qu’on dorme dehors

ou dans un autre lit par terre loin

qu’on aille à mille kilo­mètres d’eux

 

IV

ces gens je les déteste oui ces gens

qui ne sont pas à la gare quand je rentre

quand je reviens ces gens que je dépose à la gare

 

au dépose-minute et forcément

oui qu’on serre fort très fort pour­tant qu’on serre à contre-cœur

et dont on porte à bout de bras la valise

 

oui la grande valise de ces gens qu’on raccompagne

avant de retourn­er dans la vase lente et les mains vides

 

V

de quoi par­ler de quoi main­tenant ah oui

ma mère ? son linge qui sen­tait mau­vais. c’était

un drame un rejet salu­taire mes liquides

gaspillés par terre ou dans un sac un sac à la poubelle jaune

ma mère dis­ait sou­vent tu sais tu seras tou­jours seul elle

avait tort je n’étais même pas seul j’étais rien du tout.

pas seul je suis cer­taine oui qu’elle avait tort mais nous ne savions pas

ni coudre ni bless­er per­son­ne pas mon père ou le voisin ou les hommes.

 

VI

mais elle avait mis sa mère dans un car­ton l’urne par terre

par terre devant la mai­son la cen­dre et moi deux euros tout.

 

tout même ma peluche d’enfant

                       laide,

et mon lit mon livre mes pre­miers draps de prince mon premier

pre­mier amour c’était per­son­ne il avait trop mau­vaise odeur.

 

cette per­son­ne, ma dinette,

ma dinette dure tout était mau­vais dedans.

 

VII

et alors nous avions ce bal­lon cette chi­enne et ce jardin pour tout

 

tout mon plaisir était dedans ce car­ton de deux euros

dehors par terre la dinette mère le petit prince mon épée ma tunique mon petit jou­et qui sourit 
ma console

ma chi­enne en rongea les rebor­ds elle mourut

MAMAN J’AI PRIS

D’ENORMES RISQUES

EN RECULANT. TU NE SAIS PAS

TU NE PEUX PAS SAVOIR

MAMAN.

MAMAN TU NE SAIS PAS

TOUT CE QUE J’AI COMPRIS

DE L’HOMME

OU DE MA CHIENNE

EN RECULANT.

DE L’HOMME ET DE LA FEMME

QUI SE FRACASSENT SE DISLOQUENT

ET CREVENT SEULS PAR TERRE

EN NOUS LAISSANT DE PAUVRES RUINES

QUAND ON RECULE A PEINE UN PEU.

Présentation de l’auteur

Victor Malzac

Né en 1997, venu du Langue­doc, Vic­tor Malzac lit fort, par­le bas, ronge ses ongles, marche vite. Il est peut-être drôle. Il codirige une revue de créa­tion (L’écharde), fait une thèse sur les ani­maux et crée des textes sur n’importe quoi. Il a égale­ment codirigé la revue Point de chute jusqu’en 2023.

Son pre­mier texte, respire, a paru aux édi­tions de la Crypte en 2020. Chez Cheyne édi­teur, il a pub­lié Dans l’herbe (2021, prix de la Voca­tion) et Vacance (2022, final­iste du Prix Jean-Fol­lain, du prix René-Ley­­naud de la Ville de Lyon, du prix Apol­li­­naire-Décou­verte et du Prix Gan­­zo-Révéla­­tion) ; son prochain texte paraît chez Gal­li­mard en jan­vi­er 2024.

© Eloi Céleste

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