1.

 

Je reve­nais d’un long voyage,
le regard lourd des chaleurs citadines traversées,
l’odeur de tous les chiens du monde comme un col­lier à mes chevilles ;
je n’avais plus les mêmes mains.

Je reve­nais de loin
et comme un train qui tra­verse les mon­tagnes — silen­cieuses dans la chaleur -
les forêts de sap­ins, verts et noirs,
je voulais trou­ver la mer.

Nous avions ren­dez-vous au Cafe de las flo­res,
une toute petite boutique.
« Ils vont faire tomber l’im­meu­ble juste en face.
Les ser­vices de la ville vont dyna­miter le vieil immeu­ble pour con­stru­ire autre chose,
peut-être un parc, ou agrandir les rues
Maria ne voulait pas rater l’éboulement,
les étages qui tombent, l’ef­fon­drement et cette place neuve soudain faite au milieu de la ville.
Enten­du par hasard à la radio du matin,
«15h 15, début des manoeu­vres. Les rues alen­tour seront bouclées dès 13h,
pour des raisons de sécu­rité
Maria ren­trait de Malaisie.

La façade de l’im­meu­ble est entière­ment cou­verte de tags
et il y a un garçon aux yeux verts
grand sur trois étages,
avec de larges mains
une nuque en osier, sans doute pleine de vigueur
et sous ses pieds, du même vert que ses yeux :
P. L. mort d’ex­al­ta­tion et de fatigue, avril 87.
Todo tu cuer­po me fal­ta.

 

 

 

2.

 

 

 

Je retrou­ve Raùl au café sur­plom­bant la route,
Bar­ran­co de los Negros, Sacromonte.
Il est incroy­able­ment beau,
a le nez anguleux comme un annulaire,
son corps est, je le jure, d’air et d’os,
la peau et le sang n’y ont qu’un rôle secondaire.
Il me racon­te l’his­toire du foot­balleur débar­qué de son île malaise à 8 ans
emmuré vivant à 9 parce que son bal­lon venait taper con­tre les murs et les trot­toirs de la rue.
« Vous êtes morts ?» il demande en tra­ver­sant les rues
per­son­ne ne le com­prend et per­son­ne pour parler.
Il voudrait être ému et on lui a dit :
« Passés les pre­miers temps tu enten­dras les rues se don­ner de l’altitude,
les voitures, les bus, la foule sur les marchés,
les métros sous la ville qui font trem­bler les écoles quand ils passent.
Les vivants fuient tou­jours le silence ».
Rien. Le ver­tige des hau­teurs, à 8 ans.
Alors il lance son bal­lon, con­tre les murs, con­tre les bus, con­tre les vit­rines qui par­fois se brisent.
Infati­ga­ble, il shoote !

 

 

 

3.

 

 

Llança, une journée et une nuit

 

La mer je la regarde
assis à la ter­rasse d’un café,
je l’en­tends venir de loin,
remon­ter les années d’absence.
Tes yeux et ta bouche luisent, veil­lent d’un peu de clarté dans l’éblouis­sant soleil de midi.

Il est 15h et tout le ciel nous fait penser plus loin,
là où les bus ne vont pas.
Je pense à tes jambes, belles comme des arbres de pierres
et à tous les bateaux qui, de loin, nous dévisagent ;
nous devons être moins que des points sur une page.
Nous sommes l’oeil d’un oiseau.

Dans cette chaleur — il est 18h — nous sommes déployés,
nous rêvons de sex­es froids comme des cataplasmes,
apaisant les trop lumineuses brûlures et les yeux
mor­dus dans leur chair noire.

La mer je la regarde per­dre toute sa sévérité
en entrant (c’est main­tenant minute par minute) dans l’obscurité.
Je revois dis­tincte­ment dans le vent salé
cha­cune de nos phras­es échangées,
les maisons et le bruit des autres à des kilomètres,
le long vis­age de la côte.
Nous mar­chions sans même s’être levés.

Tu écriras peut-être un jour : la nuit a le corps d’une échelle
tu le dis­ais hier, je te l’emprunte.
Reprends-le quand tu veux. 

image_pdfimage_print