L’his­toire de la poésie occi­den­tale est faite de rup­tures suc­ces­sives pour se libér­er des formes. Mais depuis quelques dizaines d’an­nées, la forme fait un retour en force tout en incor­po­rant la notion de lib­erté. Aragon a renou­velé la rime, les poètes aujour­d’hui créent sans cesse de nou­velles formes. Pour dire les choses vite… Yves Leclair, très libre­ment, se donne des cadres pour capter le temps qui passe.

    Le recueil est soigneuse­ment con­stru­it et l’aspect formel est évi­dent. Cinq par­ties le com­posent, la deux­ième étant elle-même divisée en trois suites ; au total donc, ce sont sept ensem­bles qui se car­ac­térisent par la forme utilisée.

- Douce­ment les bass­es est com­posée de dis­tiques où l’en­jambe­ment, par­fois, vient cass­er ce qui pour­rait être monot­o­nie. Les poèmes évo­quent des lieux dif­férents et, repris de manière non chronologique, ont été écrits de 2000 à 2011.

- Haut Pays Bas (Voix céleste I) regroupe de faux son­nets (deux ter­cets et deux qua­trains) écrits aux Pays-Bas en 2002 et 2004.

- D’un unique trait de pinceau (Voix céleste II) aligne des pavés de vers libres écrits en Ital­ie, en Crête, en Tunisie et en Syrie à des dates différentes.

- Vues impren­ables (Voix céleste III) donne à lire des dizains.

- Cité des Dieux offre au lecteur des neu­vains (sauf le pre­mier et le dernier poèmes qui sont des dizains).

- Vers salu­taires présente des poèmes com­posés de tercets.

- Derniers vers pour la route est exclu­sive­ment fait de stro­phes de 9 vers (sauf l’en­voi du dernier).

    On remar­quera aus­si l’hu­mour qui tra­verse ces titres mais aus­si, à l’oc­ca­sion, cer­tains poèmes (“Je marche très à ras de terre / et traîne tant les pieds usés / […] / que mes vers n’ont plus de talon”). Même le titre du recueil est un clin d’oeil au parc de Cour­cilpleu. Aus­si que chaque poème se ter­mine par des indi­ca­tions qui pré­cisent les cir­con­stances dans lesquelles il a été écrit : date, lieu, mais aus­si références à d’autres écrivains, sou­venirs de lec­ture… Comme si pour Yves Leclair, il fal­lait rel­a­tivis­er les choses. On a là comme une sorte de matéri­al­isme de l’écri­t­ure qui prend le con­tre-pied des grandes pré­ten­tions qui som­brent par­fois dans l’idéal­isme le plus con­fus. Quelques exem­ples : “Vis­ite à mon père, Mar­tigné-Briand, 12 jan­vi­er 2011”, “Oggiog­no, de notre petit ermitage, au-dessus du lac Majeur (Ital­ie), 8 août 2002” ou “De Sfax (Tunisie) à Alep (Syrie), et sur un titre de trans­port emprun­té à Jacques Réda, 8 avril 1999”…) Ce titre de trans­port n’est pas isolé : on trou­ve aus­si d’autres sup­ports comme un tick­et de caisse ou de sta­tion­nement ; c’est dire l’ur­gence de met­tre au monde le poème (urgence qui peut aller jusqu’au geste du cal­ligraphe comme dans D’un unique trait de pinceau).

    Que retenir de ce par­ti-pris ? Yves Leclair com­mence ses poèmes par de l’anec­do­tique : “Je feuil­lette, ce soir, le petit livre”, “Dans la rue pié­tonne, un routard / […] / joue de mémoire un con­cer­to” ou “Les deux cou­vreurs ont réparé le toit d’ar­dois­es”… et ça se ter­mine en s’ou­vrant sur l’u­ni­versel : “… une bib­lio­thèque / per­due au fond des sables du désert”, “On se croirait à l’IR­CAM, tant / sa ruine con­fine au chef-d’œu­vre” ou ” … le vio­lon / prend l’eau et l’âme en chan­tant sous la langue”. La preuve que les choses les plus hum­bles peu­vent être à l’o­rig­ine de la poésie…

 

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