Pierre-Albert Jour­dan con­naît enfin un regain d’actualité édi­to­ri­ale, lui qui, mort en 1981, avait alors vu ses œuvres presque com­plètes être éditées sous la houlette de Yves Leclair, au Mer­cure de France, entre 1987 et 1991. Dis­cret de son vivant, le poète et l’homme méri­tent ample­ment d’être redé­cou­verts aujourd’hui, tant ils appar­ti­en­nent (à l’image d’un Paul Pug­naud, autre poète dis­cret) à ces poètes qui écrivaient, dans la sec­onde par­tie du 20e siè­cle, en ter­res intel­lectuelles pour ain­si dire enne­mies. En ter­res d’exil, aurait dit un Dominique de Roux. Il y avait loin entre les modes d’alors, dont presque plus per­son­ne ne se sou­vient, si ce ne sont quelques dinosaures accom­pa­g­nés d’épigones sou­vent bien pâles, et les poésies comme celles de Jour­dan. Elodie Meu­nier résume d’ailleurs fort bien la prob­lé­ma­tique du silence imposé aux poètes authen­tiques de cette époque par une cer­taine « cul­ture » édi­to­ri­ale, issue d’un mil­i­tan­tisme pour­tant déjà préhis­torique pour ceux qui avaient des yeux pour voir et des oreilles pour enten­dre, en don­nant cette belle phrase comme sous titre de son essai : « L’écriture poé­tique comme voie spir­ituelle ». Cela résume bien la démarche et le chem­ine­ment poé­tiques de Jour­dan, et de cela nous nous sen­tons par­ti­c­ulière­ment proches au sein de Recours au Poème. Le Poème, pen­sons-nous sans cepen­dant pré­ten­dre à une quel­conque « vérité », est un lieu géo­graphique de sacral­ité, une géométrie et une archi­tec­ture touchant aux pro­fondeurs de l’être, c’est-à-dire aux infi­nis qui irriguent l’apparent corps de l’être homme.

Jour­dan n’a pas tou­jours perçu le monde comme poésie. Du moins, pas tou­jours en ce sens spir­ituel. Notez que je n’écris pas « religieux ». Il faut être pru­dent en ces matières, on se retrou­ve vite décrit sous un jour que l’on ne recon­naît guère, pour un mot mal com­pris. Le lisant, on ver­ra immé­di­ate­ment la fil­i­a­tion entre le par­cours de Jour­dan et celui d’un Dau­mal, avant de s’apercevoir qu’en effet Jour­dan don­na comme titre à sa revue une expres­sion référée au Mont Ana­logue de Dau­mal,  Port des Singes. Une revue dans laque­lle il a pub­lié des poètes tels que Vigée, Bon­nefoy, Jac­cot­tet, Gas­par, Munier, Réda… Mais au début Jour­dan était forte­ment influ­encé par Char, lequel l’aida à pub­li­er ses pre­miers poèmes en revue et ses pre­miers recueils. Elodie Meu­nier, dans cet essai bril­lant, mon­tre bien l’évolution de son écri­t­ure et com­bi­en cette évo­lu­tion fut liée aux méan­dres de la vie du poète, avec cette rup­ture dans l’écriture, l’éloignement relatif de Char, et l’ouverture à l’Orient, au boud­dhisme en par­ti­c­uli­er, débouchant sur une écri­t­ure en effet perçue et vécue, sinon à quoi bon ?, comme voie spir­ituelle. Com­ment ne pas penser à Dau­mal, poète dont on com­mence à peine à mesur­er l’extraordinaire influ­ence sur toute la poésie con­tem­po­raine. Du moins, sur la poésie qui con­tin­ue à vivre une fois les modes estom­pées. Après 1970, Jour­dan cesse d’écrire des poèmes au sens formel du terme, pub­liant alors des Frag­ments, ce que nom­bre de ses lecteurs con­sid­èrent comme le point d‘orgue de son œuvre.  Pour­tant, on ne dira aucune­ment qu’il cesse d’être poète, bien au con­traire. C’est le déploiement de sa poé­tique intérieure, la réal­i­sa­tion d’une œuvre incor­porée en l’homme qui le con­duit à écrire une poésie formelle­ment dif­férente de ce que nous appelons com­muné­ment poème. Et cette œuvre, comme ce par­cours, ont à dire – beau­coup – sur ce qu’il faut bien nom­mer ici, main­tenant, la renais­sance du Poème, retrou­vant souf­fle depuis les décom­bres des poésies « poli­tiques » et idéologiques de la fin du siè­cle passé. On respire un peu, et comme l’on aime respir­er en con­science de ce qu’est la res­pi­ra­tion à l’échelle de la vie, on lira Jour­dan et on décou­vri­ra son œuvre par l’entremise de ce fort bel essai signé Elodie Meunier.

Mer­ci.

 

Sur Pierre-Albert Jourdan :
http://pierrealbert.jourdan.free.fr/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Albert_Jourdan

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