Avec Michel Baglin pour Brassens

Par |2019-09-07T13:00:46+02:00 6 septembre 2019|Catégories : Focus, Michel Baglin|

à Jack­ie, Hélène et Serge Baglin

 

C’est d’abord une ren­con­tre lors du Print­emps de Durcet, je ne sais plus en quelle année exacte­ment mais pas avant 2010. Avant cela j’avais lu Michel et il m’avait même chroniqué mais il fal­lait cette ren­con­tre dans ce lieu mag­ique qu’est Durcet (« vil­lage en poésie » qu’on ferait mieux d’appeler “cap­i­tale de la poésie” ) pour le con­naître vraiment.

Une ami­tié coup de foudre et je sais trop que ces ami­tiés-là au con­traire des coups de foudre amoureux sont le plus sou­vent durables. Le dieu de l’amitié, au con­traire de Cupi­don, qui s’en fout cer­tains jours, ne tire pas ses flèch­es au hasard.

Et dès la pre­mière fois, entre autre chose, peut-être parce que j’avais dû enton­ner lors de la soirée du same­di une ou deux chan­sons du maître avec ma plus fidèle fiancée (cette gui­tare dont je grat­te le ven­tre mal­adroite­ment mais le plus amoureuse­ment pos­si­ble) nous avons évo­qué Brassens et alors est né déjà ce pro­jet d’un livre sur lui. Deux idées ont vu le jour ensuite : un dia­logue où l’on se ren­ver­rait des chan­sons com­men­tées (je pen­sais par exem­ple au Bla­son que je trou­ve sub­lime) et un livre sur « la morale lib­er­taire » de Brassens tant il nous sem­blait que ce point n’avait pas tou­jours été bien com­pris. Et notre vision de la chose était convergente.

Nous en repar­lons à Camps-la-source invités tous deux au fes­ti­val par l’amie Colette Gibelin au print­emps 2017. Mais là encore l’étincelle n’est pas là. Bien sûr avec la dis­tance Toulouse-Rouen ce n’était pas facile de se lancer… La suite nous prou­vera le contraire.

La suite, ou plutôt le vrai début, c’est à Sète en 2017. Je viens aux « Voix vives » pour la pre­mière fois, invité par l’amie Colette qui a loué un apparte­ment. L’un des passe-temps favoris de Michel là-bas, en dépit d’un agen­da très chargé, c’était d’organiser des repas pour faire se ren­con­tr­er ses amis : Michel était un amoureux de la vie, de la rela­tion humaine et de l’amitié tout sim­ple­ment. Et lors du pre­mier repas où je fus con­vié, nous nous mîmes tous deux à enton­ner a capel­la moult cou­plets et un jeune cou­ple mag­nifique vint même rejoin­dre la table de vieux rieurs qui s’égosillaient pour chanter avec nous. Cela don­na l’idée à un cer­tain Jacques André que je ne con­nais­sais jusqu’alors que de nom de nous lancer ce défi : « Et si vous m’écriviez un « Je suis… Georges Brassens » les gars ! La soirée était vrai­ment mag­ique ! Jacques nous annonça que c’était pour dans deux ans et que tout serait pré­cisé l’année suiv­ante. Mais je me dois de dire que dès sep­tem­bre 2017 je reçus de Michel le pre­mier jet du chapitre 1 du livre. Il avait été jour­nal­iste pen­dant trente ans et un jour­nal­iste ça ne traine pas comme un petit poète besogneux. Je dus le retenir un peu pour qu’on ne présente pas le tapuscrit un an avant la date limite.

Nous nous sommes donc retrou­vés l’année suiv­ante à Sète pour de nou­velles agapes et le vrai lance­ment du pro­jet avec notre bel édi­teur. Ce fut le début d’une mag­nifique aven­ture. Et la con­fir­ma­tion d’une vraie ami­tié. Jacques nous avait dit que l’écriture à qua­tre mains c’était com­pliqué et… par­fois con­flictuel. Il n’en fut rien. Nous alternions les chapitres et cha­cun cor­rigeait l’autre un peu ou beau­coup. Je me dois de dire qu’il m’a plus cor­rigé que je ne l’ai fait. Mais mes cor­rec­tions ou sug­ges­tions étaient aus­sitôt accep­tées avec cette humil­ité qui car­ac­téri­sait, entre autre qual­ité, Michel. Et il en fut de même de mon côté tant j’avais con­fi­ance en sa sureté de juge­ment et de plume. Cela nous per­me­t­tait aus­si des dis­cus­sions pas­sion­nantes dont notre édi­teur était le témoin priv­ilégié, quelque peu admi­ratif de notre com­plic­ité. Nous nous sommes enrichis mutuelle­ment sur la con­nais­sance de notre maître et nous échan­gions aus­si sur tout ce qui tour­nait autour du pro­jet de livre ain­si pour une demande de pré­face, ce tou­jours sous le regard atten­tif de Jacques.

Une belle aven­ture d’écriture mais surtout une expéri­ence humaine rare. Le fait est que Brassens c’était un univers où nous nous retrou­vions entière­ment Michel et moi et où nous allions, dans les pas­sages plutôt con­sacrés au idées du bon­homme, au plus pro­fond de nous-mêmes : nous avions tant hérité de lui. C’était une langue com­mune, une cul­ture qui per­me­t­taient un dia­logue intense. Je ne peux bien sûr don­ner un avis objec­tif sur ce que nous avons fait ensem­ble . Les écri­t­ures de Michel en tout cas me sem­blaient d’une extrême justesse. J’avais vrai­ment l’impression de lire Brassens lui-même. Et puis ce livre n’a pas voca­tion à être un chef d’œuvre ou un ouvrage de référence sur le maître. Des ouvrages de référence il y en a des tas sur Georges Brassens. Réac­tion de la fille de Gibral­tar, impasse Flo­ri­mont quand je lui ai dit que je pré­parais un livre sur Brassens avec un ami : “Encore un” ! Il s’agit plutôt sim­ple­ment d’un livre de vul­gar­i­sa­tion au sens noble du terme, il s’agit d’une porte d’entrée que peut franchir même un col­légien. C’est là du reste le but de la col­lec­tion. Et la bio à la pre­mière per­son­ne vous prend le lecteur par la main et par le cœur.

Et puis un matin de jan­vi­er je crois Michel me télé­phone. Nous avons ter­miné l’essentiel du tapuscrit. Il m’annonce sa mal­adie. Il est très lucide devant sa grav­ité mais il veut se bat­tre. Il me passe entière­ment le relais pour ce qui suit : épreuves, cor­rec­tions, ajouts etc. Il doit d’abord subir une lourde opéra­tion, puis c’est la chimio dont les médecins ne lui ont pas caché les effets red­outa­bles. L’opération sera longue et dif­fi­cile. Mais Michel passe le cap. L’ami Pierre Maubé qui est en con­tact avec Hélène, la fille de Michel et Jack­ie, son épouse, m’informe du mieux qu’il peut.

Michel me télé­phone une fois bien passé l’opération. Il affronte courageuse­ment mais me dit qu’il est très dimin­ué par la chimio. Il me con­firme qu’il ne peut plus suiv­re le tra­vail (mais il a tant don­né déjà ! ) et me renou­velle sa confiance.

 

Je con­tin­u­ais de le met­tre en copie de mes échanges avec Jacques et il répon­dit une fois qu’il approu­vait toutes mes cor­rec­tions. Puis ce fut le silence ou presque jusqu’au 17 juin. Il venait de recevoir ses exem­plaires d’auteur et me dit sa sat­is­fac­tion devant le livre. Il m’annonçait qu’il ren­trait le lende­main à l’hôpital pour une nou­velle chimio, Les médecins eux-mêmes avaient avoué l’échec de la pre­mière. C’était donc une chimio de la dernière chance : « Soit j’obtiens un répit, soit… on con­nait la suite ». Il avait du mal à par­ler, ne retrou­vait plus l’adresse et le télé­phone de Jacques qu’il avait pour­tant… Tout deve­nait très difficile.

Suivirent trois semaines d’inquiétude et de silence. Comme depuis le début je ne voulais pas trop écrire directe­ment à Michel afin de préserv­er son repos je n’avais aucune nou­velle. L’ami Pierre Maubé n’avait cette fois pas plus d’informations que moi et ce fut Marie Rouanet qui m’annonça au télé­phone le ven­dre­di précé­dant le décès que Michel avait été mis dans le comas et qu’il ne s’en réveillerait pas. Le lun­di suiv­ant j’apprenais que Michel était par­ti rejoin­dre le par­adis des poètes et.…. des mécréants.

Notre aven­ture com­mune sem­blait s’arrêter là et Michel avait écrit avec Je suis… Georges Brassens l’un de ses derniers ouvrages sinon le dernier. Alors que je savais que cela se ter­min­erait ain­si la douleur était là, cruelle.

Jacques et moi nous nous sommes demandés si nous pou­vions, dans ces con­di­tions, con­tin­uer la pro­mo­tion du livre. Nous avons eu envie d’arrêter. Par décence et respect et douleur. En même temps nous étions con­scients que Michel nous aurait engueulés de faire cela s’il avait pu.

Le lun­di 15 juil­let à Seilh après la céré­monie quand je lui ai dit au revoir, Jack­ie m’a fait promet­tre de porter le livre. Je ne pou­vais pas refuser car je savais que désor­mais Michel vivrait avec les mots qu’il avait pub­liés. Bien sûr en pri­or­ité ses superbes poèmes, ses romans, son théâtre, d’autres livres comme ses Let­tres d’un athée à un ami croy­ant que j’ai chroniquées et qui posent des ques­tions essen­tielles aujourd’huiMais je sais aus­si, par sa fougue d’écriture sur ce livre où il a tant don­né, com­bi­en il lui tenait à cœur. A par­courir un peu l’ouvrage aujourd’hui j’entends la voix de Michel dans celle de Brassens et je relis aus­si tous nos échanges si complices.

Hom­mage à Michel Baglin, Fes­ti­val Voix vives 2019, images et mon­tage : Thibault Gras­set — ITC Production

Je sais com­bi­en Michel était proche de Brassens par son exi­gence, sa générosité, son goût pour le rire, son indépen­dance, sa fidél­ité, son sens de l’amitié, sa pas­sion de la lib­erté et de la jus­tice, sa pas­sion pour la poésie… C’est une part impor­tante de Michel, un peu d’une flamme qui n’est pas près de s’éteindre.

Mer­ci Michel ! C’était si bon de te savoir ici. C’est si beau ce que tu nous as lais­sé pour mieux habiter le monde.

Présentation de l’auteur

Michel Baglin

Michel Baglin, né en 1950 dans la région parisi­enne, vit depuis ses onze ans à Toulouse. Après la fac et de nom­breux « petits boulots », il devient jour­nal­iste. Guy Cham­bel­land édite son pre­mier recueil en 1974. Depuis, il a pub­lié plus d’une ving­taine de romans, essais, recueils de poèmes et de nou­velles. Il est notam­ment l’auteur de Les Mains nues (L’Âge d’Homme), L’Obscur ver­tige des vivants (Le Dé bleu), Entre les lignes (La Table Ronde), L’Alcool des vents (Le Cherche Midi), Les Chants du regard, poèmes sur 40 pho­togra­phies de Jean Dieuzaide (Pri­vat), La Balade de l’escargot (Pas­cal Galodé) et De chair et de mots (Le Cas­tor Astral).

Il a reçu le prix Max-Pol Fouchet en 1988. Cri­tique pour divers jour­naux et revues et fon­da­teur de la revue Tex­ture, il ani­me aujourd’hui le site lit­téraire revue-texture.fr

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Guy Allix

Né en 1953 à Douai (59). Vit à Rouen (76). Poète, cri­tique lit­téraire, auteur jeunesse, auteur-com­pos­i­teur-inter­prète. Nom­breux recueils de poésie aux édi­tions Rougerie, au Nou­v­el Athanor, aux édi­tions sauvages et à l’ate­lier de Grou­tel. Par­mi les dernières pub­li­ca­tions : Le sang le soir (poésie), Le Nou­v­el Athanor, 2015. Au nom de la terre (poésie), Les édi­tions sauvages, 2017. En chemin avec Angèle Van­nier (essai), édi­tions Unic­ité, 2018. Oser l’amour suiv­ie de D’amour et de douleur (poésie, bib­lio­philie), Ate­lier de Grou­tel, 2018. Je suis… Georges Brassens, co-écrit avec Michel Baglin, Jacques André édi­teur, 2019. En pré­pa­ra­tion : Les amis, l’amour, la poésie, CD chan­sons et poèmes inter­prétés par Guy Allix, auto­pro­duc­tion. Vas­sal de la poésie, (recueil d’ar­ti­cles), Les édi­tions sauvages.

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