Ce qu’on voit, c’est la ville, sa fosse commune.
Là-bas, il y a la fabrique de clous, la forge
aux portes grandes ouvertes, le bâtiment de la filature
– comme une oreille immense, parabolique.
Des toitures et autres baldaquins qui attendent leur proie,
des porte-monnaies carnassiers, prêts à écorcher
la beauté des mannequins locaux.
Dans les parcs, dans les impasses, guettent déjà héroïquement
tous ceux qui dessinent des cibles et dressent le périscope.
À chaque instant, le slam aboulique perfore le béton,
l’âme des fonctionnaires insomniaques qui
s’élancent, prennent leur envol vers la décharge publique.
Et il y a aussi les pierres tombales que les enfants
soulèvent l’après-midi en jouant.
Le reste, c’est du béton.
Le cimetière vertical, presque propre, des murs.
Un ordre militaire, héroïque lui aussi. Tu passes au long
du boulevard comme parmi des carcasses de porc
accrochées dans un congélateur énorme.
Le quartier ancien, on ne le regarde pas. Les quartiers anciens
sentent mauvais. Les murs craquent,
les chiens te tapent sur l’épaule.
De l’autre côté, l’on entrevoit la crevasse d’un nouveau boulevard,
au-dessus duquel bruiront les herbacées des toits.
Les aveugles ne se sont pas encore hissés jusqu’en haut ;
ils n’ont pas acquis la moindre lumière.
Les toits sont déserts – il n’y a guère de passants –,
presque lunaires.
S’érigent là-bas de grandes HLM, leur appareil excréteur.
Et les immeubles à venir s’appuient contre les tranchées de combat,
contre les rues à venir.
Mais là-bas, la ville nage encore dans ses souterrains.
Les bras des grues tournent par-dessus jusque très tard le soir,
à la recherche de l’unité dialectique du ciel et de la terre.
Et vers le sud, en plein champ, s’élèveront les murs pâteux
des lotissements, avec leurs pelouses accouplées
les unes aux autres, avec la gonorrhée des piscines.
Avec les tympans crevés par les longs cris
des femmes attachées au mât des maisons.
On construit des murs. C’est une zone où, la nuit,
le silence est presque industriel.
Seul le bourdonnement léthargique du béton te rentre dans les os.
Comme partout : du béton C100/115 autocompactant.