Aïe, un livre sur papi­er glacé, un for­mat peu habituel… Un « beau livre » de plus ? Tout de même, on veut voir : au hasard, comme un enfant curieux d’images. On lira plus tard. Mais non, on lit : petites pros­es qui s’amenuisent en haïkus ou dip­tyques, se dis­ent « échos », échos à des pein­tures, elles-mêmes sur­gies d’un texte antérieur. On relit, on feuil­lette, on revient : ni cat­a­logue d’illustrations com­men­tées, ni textes illus­trés, voici un livre de tumultes et d’hésitations, de regards et de patience entre deux artistes, une pein­tre et une poétesse – et quel soulage­ment de pou­voir dire poétesse sans crain­dre les sar­casmes, puisque l’ouvrage nous vient du Québec !

Les titres antérieurs de Fabi­enne Roi­tel dis­ent assez sa quête de l’essentiel, voire de l’invisible : Cou­vre-feu, Gout­tière de ciel, De ce voy­age presque rien, De l’amour des restes humains… Et main­tenant ces « claires-voies », célébra­tions à qua­tre mains avec Maryse Bédard, auto­di­dacte qui expose depuis 2003 au Québec, des expo­si­tions jusqu’ici inti­t­ulées « La grande tra­ver­sée », « Ren­con­tre sin­gulière », « Moments frag­iles »… Fêlures partagées, promess­es récipro­ques, seize répons­es à vingt-six poèmes, lesquelles à leur tour ont don­né lieu à neuf « échos » poétiques.

Répons­es, ou plutôt répons, car loin de vouloir s’illustrer mutuelle­ment, pein­tures et textes épousent ensem­ble le souf­fle d’une quête com­mune, le rythme de la route vers un mys­ti­cisme sans reli­giosité. Claires-voies, oui, car claires voies que ces « fenêtres ajourées » où le lecteur assoif­fé de réso­nances intimes trou­ve promesse d’une « prière com­mune » dans la « mémoire trou­blée et frag­ile de notre fini­tude ». Pages que l’on tourne, où l’on retourne, pour s’arrimer encore à la solid­ité de cette con­nivence, à ces présences qui nous assurent de la vigueur de l’invisible.

Livre de mémoire et de stèles : à l’humilité des ancêtres, à la dureté de leurs vies, à la vail­lance de leurs mains : sous la « rudesse de la terre sous les ongles noirs » de la vieille ouvrière, la « douceur aïeule de la laine ». Aux riens somptueux de leur bon­té calleuse, comme l’assiette de pot-au-feu ajoutée à l’avance pour le « quê­teux » de hasard : « tout ce que nous avons reçu tient dans ce petit rien. Partager son bol de soupe, le rin­cer au vin rouge, trem­per son pain ».

Il ne tient désor­mais qu’à nous, à la fer­veur de nos recom­mence­ments, que les mots et les actes soient « envolées, météores, rafales » : dans la joie com­plice de créer, l’auteure et l’artiste écar­tent les bar­reaux des pris­ons intérieures, comme on écarte les doigts pour « voir clair » au-delà des pris­ons trop humaines. Clarté éblouis­sante des révéla­tions, clarté aveuglante par­fois, car « il y a des jours où le cha­grin gueule à tue-tête ». Et « que faire quand les mots ne veu­lent plus dire grand chose et que le plus laid est aus­si léger que le meilleur » ? Lorsque « Des fan­tômes qui lisent dans mon dos/Effacent ma vie comme on efface un carreau » ?

Se méfi­er d’abord de l’intellect, car lucid­ité n’est pas sécher­esse : « Ton cœur bat et s’il pense, c’est que l’émotion ne lui suf­fit pas. »

Croire au sang de l’intime, au « vol­can au creux de mon sexe comme/mille roches sans âges, sor­ties du néant. »

Croire en la mélan­col­ie elle-même, y puis­er le récon­fort para­dox­al de « Cette nudité qui recèle autant de force que de renoncement/Corolle de jours et de sable, berceau d’ambre et de sang. »

Il faut saluer ici le beau tra­vail de l’éditeur, qui incite à croire en la leçon finale du chemin par­cou­ru : « Notre bon­heur est /Ici/ Nulle part ailleurs ».

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