A lire et relire le Secret secret de Lau­rent Albar­racin , on com­prend qu’il a trou­vé la petite clef qui ouvre le mot der­rière la chose ou l’inverse.
Le recueil s’ouvre d’ailleurs sur un pre­mier très court texte : la clef n’ouvre pas la clef.
Au con­traire : la clef fait comme une ser­rure autour de la clef.
Tout sem­ble con­tenu dans cette inau­gu­ra­tion heureuse, cette peut-être clef dans la ser­rure du recueil.
Il y a un con­traire, un inverse, une sorte de retourne­ment de l’image pour y trou­ver ce à quoi on ne s’attend pas mais qui est entière­ment et mys­térieuse­ment con­tenu dans son envers.
Lau­rent Albar­racin creuse avec l’air de ne pas y toucher.
L’amande est comme un couteau tendre
dont on mangerait l’intérieur de la lame
C’est un étrange creuse­ment qui exhume des évi­dences que l’on ne voy­ait pas.
Il met en lumière les liens secrets qui se tra­ment depuis la nuit des temps entre notre regard et ce sur quoi il se pose.
Le regard de Lau­rent Albar­racin, s’il est aigu­isé et met à jour le secret enfer­mé à l’intérieur des choses, n’en est pas moins pais­i­ble et comme lente­ment posé sur le monde dans l’attente d’une sorte de révéla­tion simple.
Mais … com­bi­en toujours
l’effort de la sim­plic­ité est grand.
On se sou­vient des manuels de notre enfance, ces Leçons de choses qui nous lais­saient croire que le monde entier pou­vait être con­tenu dans l’explication méthodique de ce qui le com­pose. Il y a de cela dans le livre de Laurent.
On y apprend l’eau, l’arbre, le bol, la lampe, l’escargot et la grenouille, la lune et l’amande…
Et tout y est comme décor­tiqué pour se ren­dre à l’évidence de sa leçon.
Tout y est con­tenu dans tout, nous don­nant du monde une  expli­ca­tion en abîme, tout à la fois lumineuse et comme révélée de ses pro­fondeurs, de son obscurité.
M’émerveille comme l’eau
assombrit tout ce qu’elle arrose
d’un sang lumineux
comme elle rend tran­chant et vif
tout ce qu’elle asperge et con­tre quoi elle coule
Comme le pêcheur au bord de la riv­ière, Lau­rent Albar­racin con­sid­ère l’alentour avec patience, dans un silence d’où va sur­gir la proie au détour d’une image, d’un vers sus­pendu, et l’humour n’est jamais loin, qui met cette dis­tance déli­cate comme celle du
bou­chon qui tangue à la sur­face de l’eau
(et qui) hausse les petites épaules de l’indifférence de l’eau.
Si le pois­son est la san­dale de qui marche dans sa tête, c’est une jubi­la­tion heureuse de chem­iner à tra­vers ce livre, où l’évidence se glisse dans les plus infimes recoins de toutes choses pour nous les éclair­er d’une lumière neuve et à la fois anci­enne, dans une archéolo­gie du quo­ti­di­en mag­nifié : ce qui tra­verse le monde est une rivière
qui a pour bor­ds toute la légère poterie des choses.
Nous voilà trans­portés, émus et légère­ment ivres puisque
La coque des fruits les berce
de la per­spec­tive d’une croisière au long cours
l’enveloppe de l’enveloppe  de l’enveloppe
comme une mer intime
en amande dans le monde.
Nous, ain­si tenus dans l’amande du secret secret. 

 

 

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