« La parole nous livre
Aux eaux importantes ».

Le poète Alain Bre­ton co-dirige La Librairie Galerie Racine, lieu d’évènements, édi­teur de recueils de poésie et de la revue Les Hommes Sans Épaules. Jeune, il a ren­con­tré nom­bre de per­son­nal­ités du monde de la poésie, de Yves Mar­tin à Guy Cham­bel­land en pas­sant par son oncle Michel Bre­ton, auquel nom­bre de poèmes sont ici dédiés. Son père, Jean, était édi­teur. Rien à voir avec André Bre­ton et le sur­réal­isme, quoi que… Les Hommes Sans Épaules pro­lon­gent aujourd’hui, sous l’égide de Christophe Dauphin, une cer­taine idée du sur­réal­isme. Alain Bre­ton a com­mencé à pub­li­er ses poèmes à la fin du 20e siè­cle tout en étant fort act­if dans ce même milieu de la poésie, col­lab­o­rant ain­si de près à Poésie 1. Une aven­ture dont la mémoire demeure forte. Le pub­liant dans la col­lec­tion « Poètes trop effacés » de sa mai­son d’édition, Le Nou­v­el Athanor, Jean-Luc Max­ence donne à lire des poèmes extraits de la dizaine de recueils pub­liés par Bre­ton ain­si qu’une série d’inédits. Du point de vue de Max­ence, le poète est un « mys­tique sans Dieu », et à lire Bre­ton on ne pour­ra qu’être d’accord avec cette façon de voir. Les poèmes sont sou­vent ceux d’un homme dans le siè­cle qui regarde le monde d’un œil et d’un sourire émer­veil­lés. C’est la vie qui forme lumière :

 

Les yeux bandés
J’entends le chant.

Le lac de la terre
Boit ton sceau surchauffé.

Tu te redresses
Au dernier moment
Pour ren­dre sa vio­lence à l’air.

D’une cer­taine manière, l’acte d’être poète est ini­ti­a­tion au réel du monde, à la vie qui est lumière. Cette vie, un tout dont nous ne voyons qu’une part ain­si qu’un pro­fane marchant les yeux bandés :

 

Moi,
Novice
Devant la beauté

Le monde est le tem­ple de la vie. Comme cha­cun de nous.

Tout cela ne va pas sans humour, Alain Bre­ton sait com­bi­en nous jouons, ain­si lorsque sa poésie évoque les sumos. Cela ne va pas non plus sans la femme, sans laque­lle il est peu de poésie, femme présente ici presqu’en per­ma­nence, femme et corps touchés, reliés :

Alchimie grave de ton ventre

Ta bouche
Ta paix

Com­mencée tan­tôt des étoiles.

 

« Alchimie », le mot résumerait presque la poésie de Bre­ton et l’on saisit la place don­née à sa poésie par Max­ence, dans cette col­lec­tion, chez cet édi­teur. Nous sommes là entre bons hommes con­cen­trés sur les choses sérieuses. Elles ne sont pas si nom­breuses en réal­ité, n’en déplaise à la pro­pa­gande mas­sive en vigueur, et le mot « alchimie » en est.

Le recueil porte en lui une force d’émotion qui s’impose avec les poèmes extraits de Ça y est le monde, ini­tiale­ment parus chez Cham­bel­land en 1990, et écrit dans le sil­lage de l’oncle Michel Bre­ton. C’est un pan entier de l’histoire de la poésie de la fin du siè­cle passé qui revit d’un coup ici. Et cette émo­tion se pro­longe avec les poèmes issus du recueil Le long du fleuve Orénoque, parus la même année, poèmes qui dis­ent l’acte de don­ner nais­sance autant que celui de naître ou de renaître, poèmes qui par­lent de cette con­cor­dance de ce qui est, lorsque cela est dans l’instant d’être. Alain Bre­ton dit l’accouchement du renais­sant, autrement dit du poète. Alors, en effet, « Que la clarté attende » ou « Que le néant t’explique ». La vie est un rit­uel cor­recte­ment ordon­né. Un poème. Né du chaos, comme toute forme d’ordre. Et voué à y retourn­er en quête de nou­velle nais­sance. Nous ne sommes donc pas éton­nés de lire en clô­ture de Ça y est le monde un poème à la mère, poème placé dans cette antholo­gie à l’orée des extraits de Juste la terre :

 

Ma mère, tu le sais,
Je suis tou­jours la grenouille de sang entre tes
cuiss­es,
Je pends encore dans le labyrinthe de l’air,
Je reviens vers tes mains d’heures innombrables,
Sur ton ven­tre tambouriné.
Je fus le des­sein, le sans-corps, l’éponge solaire.
Qu’es-tu dev­enue après tant de guet, de
souf­frances ?
Ton cœur m’a lancé dans l’espace,
Tu m’as don­né des yeux, des jambes,
Un prénom, des entrailles et un sexe,
Le droit de rêver aus­si, mouil­lé des turbulences
Du terre-plein de ton ven­tre – ô laine lyrique, ma
peau chaude.
Ma mère, depuis lors, tu planes au-dessus des
saisons.
Sans doute ai-je quit­té le seul lieu sûr, fracassant
l’origine,
Mais, ser­ré comme piaf dans la lumière,
Regarde :
Sans cesse, je tombe sur le ciel.

C’est dit.

 

image_pdfimage_print