Peu à peu, et grâce à des édi­teurs tels que Cor­levour, José Cor­ti ou Ypsilon (qui édite son œuvre poé­tique depuis 2012), l’œuvre de Pizarnik s’installe dans le paysage poé­tique en langue française. Ce sont des « mil­i­tants » de son œuvre, tels que Jacques Ancet, Claude Couf­fon, Flo­ri­an Rodari mais aus­si Octavio Paz qui, d’édition en édi­tion, pro­gres­sive­ment, ont per­mis cela. Et ce n’est que jus­tice. Car Pizarnik n’est pas que cette « poète mau­dite » dont on nous rebat par­fois les oreilles, avec un zeste de misog­y­nie à la con­so­nance toute réac­tion­naire, elle est une sil­hou­ette et une fig­ure de la grande his­toire de la lit­téra­ture mon­di­ale du siè­cle passé. Ce côté lar­moy­ant est pré­cisé­ment ce qui a agacé César Aira, le con­duisant à don­ner cette série de qua­tre con­férences au sujet de la poète, en 1996. Le but de l’écrivain argentin, traduit et édité en France chez Nadeau, Bour­go­is, Gal­li­mard et André Dimanche, est de retrac­er le proces­sus créatif de la vie et de la poésie de Pizarnik, les deux étant insé­para­bles – en dehors de tout ce pathos ten­dant à déval­oris­er son œuvre, ain­si que le note Aira. L’aventure en poésie d’Alejandra Pizarnik est avant tout celle d’un retourne­ment du proces­sus de l’œuvre sur­réal­iste au sein du sur­réal­isme lui-même ; ce qui, en Argen­tine, n’est pas rien, tant ce pays a con­nu quelque chose comme une « autre branche » du sur­réal­isme, étant sans doute aucun l’un de ses pôles majeurs. Ain­si, Pizarnik s’inscrit dans le sur­réal­isme, sem­ble s’en éloign­er, et – en réal­ité – s’y inscrit de manière encore plus prég­nante à mesure qu’elle paraît en être détachée. César Aira fait ici œuvre de salubrité lit­téraire et poé­tique au sujet d’une poète sui­cidée à 36 ans, dont l’œuvre est de plus en plus lue, une œuvre qui demande l’écriture de livres de cette sorte, afin d’accompagner sa mise en lumière. Et cette œuvre qui, selon Aira, a ten­du à « décon­gel­er » le monde, n’est pas mince. Ale­jan­dra Pizarnik : un pur méti­er de poète s’affirme d’emblée comme un livre incon­tourn­able pour tout lecteur de la poète argen­tine mais aus­si pour quiconque cherche à saisir le proces­sus non pas de la créa­tion poé­tique mais d’une créa­tion du Poème dans le corps et la vie d’une poète. Car il en va ain­si de la poésie, de n’être aucune­ment recopiée à mer­ci, au con­traire de ce qui se présente comme prose sous forme de roman ; le poète est une unic­ité. C’est pourquoi il n’appartient pas au champ de ce que l’on nomme le « lit­téraire », s’ébattant tout au con­traire dans la vie. Dans cet ouvrage pas­sion­nant, l’on crois­era aus­si d’autres fig­ures de cette ampleur (Bre­ton, Porchia…). Les essais impor­tants sur la poésie ne sont pas légion par les temps qui courent. À lire celui-ci, on com­prend pourquoi : ici, comme dans l’écriture du Poème, se joue la lutte des class­es con­tem­po­raine, celle qui affronte l’obscurité du sim­u­lacre et la lumière de l’irréel conçu en tant que plus de réel. Bien­venu dans le désert du réel. 

 

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