Vague de phrases
 

    rallumant
    ranimant.

 

        Poème.

 

Ain­si, res­pi­rant, reprenant silen­cieuse­ment son souf­fle, expi­rant encore, un peu plus loin, la poésie de Danièle Faugeras pro­gresse. Peu de mots, qui s’in­scrivent moins sur le papi­er que la blancheur de celui-ci ne les laisse poindre. Mots enten­dus en pas­sant, peut-être bien est-ce notre oreille qui hésite : ral­lumant ? ran­i­mant ? Des liens de sens entre les deux, des chemins plus ou moins longs selon les lecteurs, des murailles pourquoi pas… Une poésie qui laisse libre de.

Un ouvrage où l’on se déplace par­mi les corps comme au milieu des mots, les 11 dessins de Hol­lan eux mêmes sour­dant d’un voile diaphane, les embruns peut-être. Cha­cun der­rière une page de papi­er calque, que l’on tourne avec un sen­ti­ment d’ef­frac­tion pour, à leur corps défen­dant, dévoil­er ces Vénus pudi­cae dont la dernière est un beau pro­fil de grossesse : prenant corps elle prend garde / (…) désir / de saisir (…)

Dessin qui par ce dis­posi­tif acquiert une qual­ité lan­gag­ière, alors que le mot imprimé, lui, se matérialise.

quelle            que

 

    chose

 

n’est pas

 

rien

 

(pour peu que

 

À la faveur de cette par­en­thèse non refer­mée, le blanc s’emplit de vie, comme si le poème, à la manière de l’art de l’in­taille, fai­sait accéder la matière au sens par le creuse­ment du signe.

Par­lons-en de ce signe. Le n’est du titre fait penser à « naît », de même que le verbe lie voi­sine avec lit et plus loin délire. Une écri­t­ure util­isant le poten­tiel poé­tique du jeu de mots, ce dont les ana­lystes lacaniens font un grand usage, moins pour sig­ni­fi­er que pour jeter dans le dis­cours des bombes paradoxales.

Pour dire quoi ?

La présence.

La présence de… ? on ne sait. Pas de nom, ni de comtesse sor­tant à telle heure, pas de fig­ure, pas de sub­stan­tifs, ou très peu : au dev­ers de la page / sa présence / alors / afflu­ant . Poésie non-nom­i­na­tive où ce qui compte c’est les rela­tions, les rap­ports, ce qui se lance et se tisse entre les signes. Beau­coup de pronoms sans antécé­dent aus­si, des « lui », des « l’ », des adverbes, autant d’é­tais qui n’ont rien d’autre que la page blanche à soutenir.

Le mot cesse d’être un voile pour, à l’aide de très peu, touch­er le réel. Somme toute l’ex­péri­ence en français la plus proche que je con­naisse de l’e­sprit du haïku, bien mieux que les imi­ta­tions « sub­stan­tives » qui s’en récla­maient dans les années 80.

Voici un livre qui célèbre la vie par le vide entre les cel­lules… étant ain­si réu­nis n’est et naît. Un élan de vie qui est sens, qui est forme et qui cir­cule entre les regards. Car les corps de Hol­lan où la caresse du fusain révèle les ver­ge­tures du papi­er, à l’im­age des mots inter­ro­geant sans cesse leur énon­ci­a­tion, font de la page un miroir où c’est l’acte de voir (et d’en­ten­dre) qui est montré :

miroir à corps perdu

 

Page après page, Danièle Faugeras avance des motifs plus nets, fes­tons / de rouille, une odeur, une défla­gra­tion. Selon sa for­mule présence insue poudroie, ils sont la pous­sière, les par­tic­ules un peu plus gross­es qui lais­sent devin­er qu’un vis­age, ou un paysage (libre de, ai-je dit), est ici.

S’en remet­tant aux doigts incon­ti­nents, plutôt qu’aux flu­ides fau­teurs de forme, la main, la con­fi­ance en la main qui con­duit le tracé, trou­ve l’in­tu­ition du mot juste à pos­er. Et pourquoi ne pas lire « in-con­ti­nents », ces poèmes sug­gérant la fin du con­tour, de la lim­ite car­tographiée. Ce qui ne veut pas dire la confusion.

Réflex­ion autant que bon­heur de lec­ture, la langue du poète offre une représen­ta­tion par le dedans de la vie, comme ces images fournies par les micro­scopes ou téle­scopes élec­tron­iques. Il n’est pas for­tu­it que cette écri­t­ure se man­i­feste au moment où les expéri­ences sci­en­tifiques s’oc­cu­pent de l’éc­ume plutôt que du rocher :

pas­sage d’une onde

 

sitôt entre­vu

 

   éteint

 

Il faut s’ex­ercer à lire ce presque silence, à dire le blanc, à reli­er le monde entier et le cœur du monde à l’ad­verbe furtif.

 

 

 

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