I
C’était presque le soir et depuis l’étranglement du cordon de l’aube
me pesait me pendait au cou ma chair inassouvie et lasse
jusqu’à l’informe
Je pensais que m’en délivrerait seul le couteau
du verbe
Il pleuvait je marchais sans direction par la ville
le ciel m’était mauvais moins que mon âme
et j’y cherchais le claquement les aigus d’un poème
où me trancher de moi-même
Rue je ne sais son nom tu m’as fait signe
nue
comme la vérité infalsifiable de la peur
du désir et je t’ai suivie emmenée
là-haut
Vous êtes bien loin m’as-tu dit
c’étaient les mots comment le savais-tu
qui m’assembleraient
II
et maintenant
sur la table où tu les as jetées les immortelles
jaunes et roses tachent le bois profond de leur chant clair
comme le sang sur ma peau brune que le rasoir a coupée
la couleur est joie mon amour et la douleur
passagère éternelle
III
dans l’embrassade folle des âges le prodigue débours des temps
sur la couche infinie des mille corps mêlés
de ceux qui nous firent nous feront
dans la chambre magmatique du désir
au présent de vérité tu t’ouvres je viens perdre te donner
dans la nuit sous ta peau qui demeure ta peau
en ton obscure exquise indifférence
un peu de ma chair tendue
gorgée de passé de sang passage de la sève
oh qu’elle est profonde ma joie
d’être parvenu jusqu’à toi
IV
le soleil frappait de ses feux couchants l’or pourpre du brûloir
nos couronnes gisaient au sol
la nudité contenait mal le silence merveilleux de nos entrailles
et nous dansions à l’horizontale des chairs
les yeux entreclos
soudain
cette flèche sans fût sans empennage tirée de nulle part
cette pointe t’a percé la vue disais-tu
c’était l’ouïe
ce que tu croyais ferme et qui l’était
s’est dérobé
quant à moi
je te regardais réduit à mes balbutiements la main tendue
miroitant d’éclats de peurs
V
Nous nous serions aimés ruisselant s’il avait plu
et longuement
et tout autant roulés dans les voilures là-haut
ou livrés aux caresses des grandes chiennes liquides.
Nous aurions chassé d’entre nos peaux l’océan le ciel
et parfois jusqu’à l’informe cruelle de la moindre séparation.
Mais c’est dans l’ardeur orange des laves que nous
avons trouvé perdu nos chairs pourtant si tendres et nos pensées.
Crois-tu que nos cendres s’offrent toujours
ce que nous n’avons plus depuis longtemps ?
VI
Souvent les soirs aux cheveux rouges
quand ton absence avait battu mes digues tout le jour
je me couchais
je te glissais nue dans mes pensées
je t’y caressais le ventre comme font les danseurs de tango le parquet doré du bal
et bientôt des enfants idéaux nous couraient avides entre les jambes
que nous écrasions de joie
je crois.
Avant de m’endormir enfin je priais
ô mon amante que l’aube arrive que l’aube avive la douleur éblouie
de te connaître.
VII
sur la grande table se dressent les tours
de tout ce que je n’ai pas lu
et qui tremblent parfois du peu de jours que dure la vie
la vie des anémones allais-je écrire mais c’est la mienne
il y a là des romans des essais et de la poésie
des revues aussi parues disparues je ne sais plus
et même un livre sur les moustiques
avec des illustrations à l’aquarelle qui donnent à la peau l’envie
de se défaire dans l’eau et de trouver le répit parfait du papier
j’aspire depuis si longtemps que j’en ai perdu l’origine
à devenir un livre seulement un livre entre tes mains
et qui tomberait quand tu t’endormirais
sur ta poitrine