Ce sont des voix, ce sont des pas, elles marchent depuis ici, depuis ailleurs, elles sont autant d’ici que d’ailleurs, et cette antholo­gie est de notre point de vue l’événement poé­tique de cet automne. Un livre à ne man­quer sous aucun pré­texte. Il faut d’ailleurs en prof­iter pour saluer le courage édi­to­r­i­al de Voix d’encre : pub­li­er un tel « mon­stre » en ce moment, ce n’est pas rien. Qu’on en juge : plus de 300 pages, 222 textes signés par 156 femmes poètes écrivant en français, mais pas seule­ment, et orig­i­naires ou vivant… ou ayant vécu en divers endroits du monde. Out­re la qual­ité indé­ni­able des voix ici pub­liées (bien sûr, cha­cun lira dans un tel vol­ume selon son goût et son univers per­son­nel), c’est cela qui frappe d’emblée : pas d’ici, pas d’ailleurs est un acte poé­tique en lui-même, par son ouver­ture réelle au monde entier. Une sorte de réponse poé­tique à la glob­al­i­sa­tion économique. Com­ment pour­rions-nous, au sein de Recours au Poème, être insen­si­bles à une démarche de cette sorte ? Les esprits cha­grins (et vieil­lots) diront qu’il n’y a que des femmes. Et alors ? Toute antholo­gie est fondée sur un choix de départ, et l’écoute des voix féminines con­tem­po­raines est la ligne de crête de cette antholo­gie. Très bien. On imag­ine le temps et le tra­vail néces­saires, même si les archi­tectes du vol­ume sont qua­tre, pour met­tre en œuvre une aven­ture pareille. L’idée est venue à Sabine Huynh, écrivain, poète et tra­duc­trice dont la vie est et a été nomade, tan­dis qu’elle mar­chait dans la neige à Ottawa. Elle venait de décou­vrir l’anthologie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine de langue anglaise. Pourquoi pas dans le domaine fran­coph­o­ne ? Le pro­jet s’est mis en place en col­lab­o­ra­tion avec Angèle Paoli, Andrée Lacelle et Aurélie Tour­ni­aire. Bien sûr, il y a quelque chose de féminine­ment « mil­i­tant » dans une telle antholo­gie. Tant mieux ! En cette époque où des malades, se pré­ten­dant « humains », sont acquit­tés de leurs actes de vio­ls col­lec­tifs, au cœur de la République française, par les tri­bunaux, il est bon que de telles voix poé­tiques et féminines, fon­da­men­tale­ment humaines, se fassent entendre. 

  Le vol­ume va bien plus loin que cela. Il ne s’agit ici évidem­ment pas de défendre une quel­conque iden­tité, fémi­nine ou autre, mais bien au con­traire d’affirmer le car­ac­tère con­tem­po­rain d’une par­tie de plus en plus grande de l’humanité (car la poésie par­le de l’homme tout autant que la  philoso­phie) : un car­ac­tère nomade. Le monde s’est ouvert. Tous les êtres humains ne sont pas encore impliqués, essen­tielle­ment pour des raisons économiques, par­fois aus­si cul­turelles, mais c’est un fait. L’ouverture du monde est pour l’homme un fait his­torique majeur. Et ce n’est que le début. Sabine Huynh écrit ain­si : « nous avons opté ici pour la cul­ture-monde, à l’opposé des cul­tures du monde ». Acte. C’est de notre nais­sance col­lec­tive dont par­le cette aven­ture. Et cela nous plaît, à nous qui, dans Recours au Poème, sommes des vagabonds de la poésie.

 Sabine Huynh et ses amies ont donc demandé des poèmes autour du nomadisme à des poètes femmes con­nues ou non, sou­vent éditées ou non (sinon en revue). Des poèmes inédits. Le tout est organ­isé en sept par­ties (chiffre sym­bol­ique que Recours au Poème affec­tionne tout par­ti­c­ulière­ment) : sous les cieux de l’errance, dans les flots du temps, au roy­aume des ombres, sur l’île de la nites­cence, dans les con­trées de l’intime, vers les caps de l’imaginaire, sous une voûte de voix et d’encre. J’aime cette dernière idée, d’une voûte étoilée toute de voix et d’encre peinte. L’ensemble est de toute beauté et de très haute fac­ture, néces­saire. On lira dans ces pages nom­bre de poètes pub­liées ou amenées à l’être par nos soins, bien d’autres aus­si, que nous décou­vrons par­fois. Impos­si­ble de citer les unes ou les autres, ce serait trop sub­jec­tif. Et puis… un peu de cour­toisie à l’ancienne ne fera pas de mal en ces temps trou­blés où l’on oublie trop sou­vent que la féminité est cette part de notre human­ité por­tant la vie en elle. C’est un des noms de la poésie. Toute bib­lio­thèque digne de ce nom com­portera ce pas d’ici, pas d’ailleurs.  

 

Pour aller plus loin : http://terresdefemmes.blogs.com/

La revue de poésie, de cri­tique et de lit­téra­ture d’Angèle Paoli. 

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