Nous nous retrou­verons au ren­dez-vous des riv­ières, sur un sable qui ignore le goût de sang, à l’amitié d’arbres qui ne con­nais­sent ni la hache ni la foudre.

                                                                            Yves Elléouët

 

 

 

de nos bras à ceux des femmes, pas une once de matière, nulle dis­tance et tout autant l’espace du vaste monde, lat­i­tudes offertes, ciel ouvert

riv­ière est le féminin de rêve

la beauté des femmes dont nous devi­sions entre nous, nous la devin­ions lumière de jour, fil d’or au plus ocre des nuits, luci­ole dansant sur les arêtes du temps, veines de char­bon striées d’aube

beauté des femmes, mor­sure des dieux, mag­ma plus que sang aux tré­fonds de nos veines, parcours

à la nais­sance de leurs cheveux, la racine de leurs traits, la sec­onde ini­tiale, l’engendrement des mondes

les femmes étaient plus belles que les princess­es de la vie qui sont plus belles que les princess­es des contes

de leur beauté sans reste à notre sang sauvage, un étalon de foudre, comme une passe de lumière

s’il est vrai que le soleil embel­lit la chevelure des femmes, l’inverse l’est autant

le jour était un peu plus clair que la lumière, les riv­ières légère­ment plus ivres de vivre que les rives, l’air un rien plus léger que le vent

au cou nu des femmes, pas de riv­ières de dia­mants, l’inverse exact, le dia­mant des rivières

à leur beauté, nous allu­mions les feux qui jalon­naient la nuit (une mèche de leurs cheveux, une seule, et les branchettes flam­baient d’autre chose que des étin­celles com­munes des silex, pau­vres pier­res perdues)

à voir les femmes face à nous, nos yeux étaient finale­ment vivants, enfin venus à la sève des nais­sances, entière beauté dont ils étaient capables

nos songes avaient par­tie liée aux femmes, trait à leurs traits

avant de dis­paraître, nous dépo­sions aux pieds des femmes l’offrande timide des galets blancs de notre amour, regard bais­sé dans le rougisse­ment de nos joues

nageurs d’un seul amour, nous allions les uns près des autres, nous croi­sions, nous frôlions dans l’eau plus vaste striée de vagues, ver­so du monde

mitoyens des flots, nous étions près de l’eau, non loin, à deux doigts et guère plus, le soleil bleu à nos épaules, le verbe vivre au tra­vers de nos corps

ain­si les après-midi, les saisons, les années filaient-elles les unes à la suite des autres, per­les du col­lier d’or, direc­tion claire au temps, us et usage de l’éternel

du point de l’aube au fil de la nuit, nous ne fai­sions rien d’autre que de rester des jours de suite à sim­ple­ment mir­er les eaux mobiles, immobiles

à voir les femmes se dress­er hors des flots, le souf­fle nous man­quait, nos cœurs défail­laient, égrène­ment des heures, éparpille­ment des mon­des et solitude

les femmes ne s’emparaient pas d’un cœur qu’elles avaient trou­vé, elles l’avaient vu naître, il leur apparte­nait à jamais désor­mais, rouge et blond

les femmes don­naient envie de les pro­téger, de les cein­dre, de les pren­dre dans nos bras, de leur ten­dre en offrande les fleurs de l’impossible, aigu du bleu des roses

nous nous appro­chions maintes fois si telle­ment du ciel que nous ne quit­tions pas la terre

nous ne viv­ions pas d’amour et d’eau fraîche, l’amour était l’eau fraîche

la beauté des femmes trou­blait autant qu’elle apai­sait, foudroiement puis grand calme, vague abrupte et soudain sable doux, saccage d’orages puis accalmie amie

les femmes n’allaient pas nues, elles pas­saient leurs vête­ments d’invisible

à l’œil nu, les matins étaient sem­blables, mais cha­cun était autre, dif­férent, saveur unique

de la beauté des femmes à celle du bleu du ciel (la couleur de leurs yeux), le silence tis­sait de ses pha­langes un con­cert, une con­corde, navette du fil d’encre au méti­er à aimer, aigu­illes de pin sous la plante des pieds

les femmes ne pre­naient pas la parole, elles avaient à cœur de la ren­dre, d’aussitôt la trans­met­tre (le vent s’attardait peu à leurs lèvres)

cette douceur bleue à leurs yeux, nous n’en souhaitions pas l’exil, nous l’appelions de rêves nom­més elles

du rouge du sang des veines au rouge du rouge-gorge, qua­si une même couleur, une teinte par­ente, l’été sans s et le soleil qui continue

la douceur des lèvres des femmes à l’été du bais­er, l’acmé, ce goût d’eau et de vent, le miel du ciel, nos traits mieux que nous, nos empreintes désor­mais, sec­onde nais­sance et néan­moins pre­mier visage

dans le jardin de notre amour, les pen­sées étaient sans pen­sées, les soucis sans soucis

une flamme de foudre à une branchette de pin était une devise autrement vraie que mille et un dis­cours de mille lieues

plus encore que la petite herbe du des­tin, davan­tage que le trèfle à qua­tre feuilles du hasard et des chances, la fleur absolue, le trèfle à une feuille de l’amour     

d’un sourire à leurs lèvres, les femmes aimaient décider du print­emps, met­tre un terme à la neige ou au revers lui pro­pos­er de naître

les femmes lis­saient-elle la robe d’un faon, la biche ne le reni­ait pas pour autant mais l’en aimait davan­tage, sil­lage de grâce, tra­jet des paumes

mots ou bais­ers, un homme se résume à ses lèvres, à la beauté qu’elles peu­vent ou qu’elles essaient

nous ne tenions à nous qu’autant que les femmes tenaient nos mains

l’empire sans vio­lence, la loi de velours, nous ne pou­vions nous en défaire, la tenir loin de nous sans aus­sitôt renier nos traits

plus qu’à leurs empreintes dig­i­tales, nous recon­nais­sions les femmes à une douceur en elles, mille choses ten­dres qu’elles dis­aient avec ou sans les mots, d’une manière l’autre

les femmes avaient le regard franc et bleu de leurs yeux, ce noir égale­ment de leurs prunelles qui nous menaient près d’elles mais aus­si nous tenaient à dis­tance, atti­rance et respect

jeunesse, beauté, elles avaient ce que nous n’avions et par là brûlaient nos sorts, clé du jour, hache, entrée, sor­tie du labyrinthe

dès que les femmes quit­taient nos yeux (nous les per­dions de vue), ce tres­saille­ment, cette rage de nerfs en nous, décharge de feu et pure douleur (même notre ombre nous lais­sait, nos traits – nous étions seuls)

un soir hideux, nous fûmes si seuls, le vent sur l’eau ne nous par­la même pas, la pluie nous igno­ra, les étoiles ne voulurent plus de nous, nous préférèrent des troncs pil­lés de foudre, des racines mortes

riveraines du silence, amies du calme, les femmes par­laient bas, qua­si pas, leur rire était léger, leur voix ne cou­vrait rien (ain­si l’ombre invis­i­ble du milan blanc sur les laiss­es de la neige)

grand ou petit jamais, il n’était pas de gestes brusques, vio­lents, de mots plus hauts que d’autres, de phras­es bru­tales (nous nous enten­dions bien avec la nuit, la paix nous appréciait)

au plus sonore de l’amour, nous ne com­met­tions pas plus de bruit que l’eau des riv­ières en son cours de silence, que le vent amené à se taire sur le soir, calme et paix (si les étoiles se tai­saient au cen­tre de la nuit, nous en fai­sions de même)

au point pré­cis où l’eau chante, où l’air prend feu, où le vent se déguise à sa guise

fors les mots rouges de l’amour, l’idiome natal, nos langues restaient au four­reau du silence 

n’écoutant volon­tiers les mots, nous descel­lions rarement les lèvres

restait ce silence bleu sur lequel nous n’avions heureuse­ment pas prise, et très rouge cette lumière à laque­lle nous ne pou­vions mer­veilleuse­ment rien

nous aimions les femmes de toutes nos forces lors que plus douces elles nous aimaient de tout leur cœur

de vrai à notre encon­tre, nous ne sauri­ons jamais que ce que les femmes avaient dit (nos vis­ages par leurs lèvres)

ce qui était plus fin que le sable du temps, plus léger que le sang, de moins de poids que la lumière, les femmes l’offraient d’une voix exacte, parure nue

les lèvres des femmes dis­aient les mots justes, le chant pur

la voix des femmes allait au monde qui nous allait, chant d’ailes d’anges, de mésanges

les femmes se devaient à l’excellence en elles, au point le plus haut, accès des lèvres

le chant des femmes se lev­ait au tré­fonds du silence, son des­tin, pre­nait sa suite sans le trou­bler ni l’élider, flux et pour­suite du temps, aurore et rose

à enten­dre le chant des femmes, le monde brindille et col­ib­ri ou pierre blanche qu’est le cœur, timid­ité de l’eau

calme dis­cret des femmes, à la dis­cré­tion de l’eau

sur la portée du jour, les femmes chan­taient à n’en jamais finir et nous les écoutions non las comme nous n’avions ouï que notre enfance, elle seule

les femmes chan­taient comme les oiseaux avaient chan­té ou chanteraient, sou­ve­nance et présage, mémoire pré­moni­toire, sou­venir à venir

nés de la prochaine pluie, nous n’étions pas venus sur cette terre pour con­quérir ou pour vain­cre, us idiots

que les femmes chantent, que les notes sour­dent à la pulpe des lèvres, le monde nais­sait, la lumière don­nait de plus belle, jus­tice et paix

le temps bleu du bais­er, les femmes nous don­naient de nos nou­velles d’alors et de demain, réin­ven­taient nos lèvres (nous pre­nions langue)

dans le futur de nos mémoires, on ne trou­verait guère que le passé de nos avenirs

les qua­tre let­tres d’hier mêlées à celles un rien plus nom­breuses de riv­ière

au revers des riv­ières de l’hiver, ver­so des eaux

d’un seul ten­ant les plaines du jour et les arpents du noir, d’un seul même sang ce qu’il y eut de beau, goût du jour plus vrai

les cail­loux que les enfants tenaient sur le plan ouvert de leurs paumes, ils n’en fai­saient pas des armes, sar­ba­canes, pro­jec­tiles ou lance-pier­res (à l’aide des bam­bous de la berge, les plus jeunes con­fec­tion­naient plus des flûtes, pas des arcs – des notes, pas des flèch­es, ce qui lie, nulle­ment ce qui détruit)

sente plus que sen­tier, gout­telettes de pluie plus que grandes orgues, tim­bre ou tri­an­gle, tib­ia ou petite flûte, l’amour, musique par le petit chemin

ce calme à nul autre pareil, le ciel descen­du sur terre ou la terre mon­tée jusqu’à lui, nous l’aimions suff­isam­ment pour ne pas l’ébrécher, l’enfreindre, mais au revers l’habiter et le vivre délice

la voix des femmes ne lais­sait pas plus de traces à sa suite que l’hermine sur un champ de lait, que le sil­lage de la neige aux ailes de l’ange, lai de la voie lactée

de ce monde les élé­ments étaient mar­iés, liés ou reliés, même les plus seuls l’étaient à leur soli­tude, à leur ombre (scel­lés le bour­geon à la branche, le vent à l’air et l’eau aux flots, unies les lèvres des femmes aux notes de la musique)

nup­tiales en tout, les femmes se mari­aient à la clarté des jours, à l’intime de la nuit aus­si bien, union de calme

le métal invis­i­ble des bagues, le jour de la journée l’avait fon­du aux forges de l’impossible, mille choses en une

du cer­cle aimé des prunelles de femmes à la bague d’union, même cer­cle ému du rêve

à la nuit tombée, le cer­cle par­fait de la lune bril­lait de ses reflets au-dessus de ses petites sœurs ter­restres, les bagues épris­es des doigts des femmes

lorsque l’autre monde fini­rait par finir, au cer­cle fin des bagues, même le mag­ma n’aurait pas accès, pas davan­tage la foudre

orbe du jour, anneau du bois, cycle des saisons et cer­cle aimé des bagues

 (s’il arrivait au jour de se clore, nous n’aimions pas pour autant refer­mer le poing)

nous dormions nus comme seule l’enfance ou la mort, nous dormions nus dans le lit des rivières

nos corps dans l’eau, o dans le e au cœur du mot cœur

une brindille s’était ployée à l’haleine d’une mésange, une toile d’araignée rompue au souf­fle d’un san­son­net, flamme de cœur bleue, fleur d’aube blanche, ruis­selle­ment d’ailes

nous ne jouions pas nos gestes, ne pré­ten­dions être qui nous étions ou n’étions pas, nous ne fai­sions pas semblant

nous n’aimions ni nous faire val­oir ni nous met­tre en avant, l’ombre nous allait assez

aux funérailles de l’un des nôtres occis d’une corne de bête ou d’un trait de sang, nous avions pour cou­tume d’emplir ses mains fer­mées sur rien d’une mèche de la chevelure des femmes, qu’il n’aille seul vers son terme, qu’une matière plus fine que l’or lui rap­pelle au noir de sa nuit la vie qu’elles étaient, lumière offerte sans compter (ain­si, dans la paume de qui par­tait, un rien de ces cheveux, obole, via­tique vers de plus som­bres ombres)

à l’acmé de la fièvre, la sueur en ruis­se­lets au front brûlant de qui s’en va, ni les potions des mages ni les dits des sages, seule la paume des femmes, apaise­ment et calme

de celui qui pas­sait dans l’ombre sans ombre, fran­chis­sait la fron­tière sans retour, seuls les doigts des femmes avaient le devoir droit de rabat­tre les paupières, plus douce soie qui soit

impéra­tri­ces par­mi les reines et les princess­es, cer­taines des femmes avaient des cils en or, bat­te­ments de la lumière

au pas­sage de l’étoile filante, nous n’avions guère qu’un vœu qui s’en allait vers elle, qu’elle suive sa route de feu, pour­suive, aille

par­fois nulle main pour accueil­lir nos paumes, nulles lèvres aux nôtres, ter­ri­ble­ment personne

ce que les astres glis­saient aux étoiles, l’eau à ses bulles, le bran­chage à ses branch­es, nous l’écoutions de même (ce que le vent souf­flait à l’air, nous tenions à l’entendre)

vénus, véga, lyre ou cygne, peu fam­i­liers des petits prénoms des étoiles, nous sen­tions toute­fois leur ten­dresse à nos corps

du lende­main, demain prendrait soin (nous étions à nous-mêmes, au soleil et au sang, aux femmes surtout)

la main de demain, la paume de l’avenir, nous ne lui ten­dions pas nos doigts tis­sés de la lumière de jour, attache libre et ce choix par amour

sans hier ni demain, ni sou­venir ni pro­jet, cap ou repère, une vie à l’estime

va pour l’invisible, le mys­tère, va pour les mon­des sans lumière

à l’invisible nul n’est tenu mais tous se doivent

au fil de l’eau, le temps coule de source

et s’il nous arrivait d’être seuls, la soli­tude nous aimait

pre­mière lumière, meu­nière des moulins du matin

de la belle aube au calme soir, ce lieu une fois trou­vé, nous n’en cher­chions pas d’autres (nous ne rêvions pas de maisons tant nous avions le sable)

au plus clair du plus clair, au lieu bleu où l’eau des riv­ières s’assoiffe et s’abreuve à elle-même, la beauté de la chevelure des femmes, comme une autre source

nous nous mêlions des cheveux mêlés d’eau des femmes

sans la beauté de la chevelure des femmes, nous n’aurions pas dor­mi dans le lit des rivières

ce qu’il y avait de pur, ce fil léger d’été, le vent dans les allées du temps, elles le vivaient aus­si, trace de sang à leurs cheveux, qua­si rien

cette lumière née de la chevelure des femmes, l’or pur la singeait, ersatz de rien, piètre contrefaçon

de nos mains, nous devin­ions qu’elles n’étaient nées pour saisir ou pour pren­dre, vaines con­quêtes, mais pour liss­er la chevelure aimée des femmes, défaite libre, con­sen­tie (de nos lèvres, nous sup­po­sions qu’elles n’étaient afin de remuer les cail­loux creux des mots mais bel et bien pour venir au bais­er, mis­sion, mai­son d’or, tâche rouge et des­tin à leur pulpe, aimer toujours)

riv­ière de l’eau, riv­ière de la chevelure des femmes, une même eau différente

à la douceur d’avant-midi, rosée entre nos doigts, au feu exact de midi ou à l’heure bleue d’après-midi, la beauté claire des femmes et son tra­jet via nos cœurs, délite­ment, limaille, cen­dre ardente, mourir

allégeance à l’élégance

de nuit, il n’y avait de vraie que cette lueur sur l’eau, ombre de feu

un mont plus beau que d’autres, une mon­tagne telle nulle autre, racine de la lumière mais aus­si événe­ment de calme, vol­can silencieux

le vol­can d’or eût-il bu son mag­ma, les branch­es ravalé leurs fruits (l’univers cessé, la nuit tourné sur elle-même), le monde où nous viv­ions était celui que nous pri­sions, petit amour rêvé de nos rêves

que les mou­ve­ments de l’eau soient les plis mêmes du temps, éven­tail lent de la lave qu’est la bave d’or du vol­can, nous le devin­ions à les laper du tout bout de nos lèvres

par la bouche d’or de ce vol­can posé sur la mon­tagne qu’il était aus­si bien, lieu le plus haut à notre amour, nos légen­des con­taient de longtemps que l’eau était venue pre­mière puis la terre tout après, avant que les femmes pour finir (nous n’en croyions rien tant elles étaient début du monde)

au soir par­fait et tou­jours au print­emps, nous sen­tions bien que nous n’avions besoin de guet­teurs d’astres pour devin­er que ce monde-ci était nôtre et le bon, note exacte, cail­lou blanc lancé au cœur des gorges de la nuit, quelque chose comme l’amour

nageaient nues dans le lit des riv­ières aus­si bien les notes de la musique que les prières blondes du volcan

mil de la lumière, mille du plein jour, riv­ière ou riz­ière de calme

ce mariage du blond des femmes et du blanc des pier­res, du lait et de l’or, de la neige et du feu, nous n’avions tété le lait de nos mères (nos poumons goûté l’air) que pour y advenir un jour, nous en ressou­venir en silence

à d’autres les loin­tains, nous étions nés pour ouvrir larges nos mains à ce monde sous nos bras, embrase­ment calme

de quelque manière qu’on le dise ou le taise, les femmes ne jouaient ni de leur beauté ni de nos cœurs

zébrures et veines de feu au velours pur du soir, il arrivait que la foudre campe ses tréteaux au cœur du pét­role de la nuit (nous n’avions pas peur, nous nous sen­tions aimés)

du fra­cas de l’orage, la nuit ne fai­sait pas mystère

entre la crinière de l’éclair dans la nuit et la chevelure des femmes, sans doute plus qu’une sem­blance, quelque chose davan­tage, air de famille, de musique, par­en­té ou bien lien

de l’infiniment grand à l’infini petit de même, de la lune ronde aux lunules de nos ongles, de l’éther au cal­ci­um, pas seule­ment un pont sim­ple, un lieu, un lien, une liane

les riv­ières était le silence autre, per­fec­tion faite chair, accroisse­ment des ronds de l’eau et onde qui se propage, venir ain­si jusqu’à l’amour

arc-en-ciel, arc du temps, cordes de pluie, flèch­es de l’amour

si la coupe de la pluie débor­dait, un oiseau s’envolait de nos cœurs

au terme de la pluie, le terme de bon­heur, closerie du cœur

la pluie et sou­vent sa colère, assaut des vagues, rage d’orage, des buf­fles dans les bulles et des tau­reaux dans l’eau, la fièvre des riv­ières et notre cœur intact, vivre, aimer, vivre

même bous­culé d’orage, criblé de pluie, le monde nous était ten­dresse bleue, nos corps sous l’eau du ciel

de l’aiguille d’un matin à la brûlure du soir, du vrai com­mence­ment aux fins réelles, d’heure en heure le fil de l’aube jusqu’au chas du soir, lin et acier

i ou y, nous dormions nus dans le lis ou le lys des rivières

quoi qu’il en soit, nous ne cher­chions jamais d’explication, nous aimions cette étrange patrie à l’envers des feuilles

nous ne souhaitions pas le monde d’émeraude et d’or, nous l’aimions d’eau, de bleu adorable, ciel et haleine mariés

nous n’aurions pas rêvé un avenir sans les femmes, le risque de les per­dre et par­tant leurs vis­ages (ain­si nous tenions-nous au présent qu’elles étaient, temps et offrande, leur haleine notre souf­fle aus­si bien)

/ ain­si accom­plis­sions-nous mal­gré nous quelque chose de plus grand, qui nous dépas­sait et que nous ne savions mais qui aus­si nous pre­nait dans ses bras, bras nus des bras des rivières /

il ne suff­i­sait pas de quit­ter nos habits, de reléguer au vent le linge de nos corps pour être aus­si nus que la lumière l’exigeait de nous

là filait l’eau qui ne s’interrompt pas, le grand chant blanc qui ne peut pas se taire, la flamme insoucieuse de s’éteindre

le vent que nous enten­dions n’entendait pas se taire

sous le dais du ciel bleu et gris, mille et tant d’heures heureuses et moins joyeuses, éten­due claire ou trou­ble des temps, dague et velours, écorche­ment et plénitude

de la rosée à nos corps, à la toute pointe de la chaleur, l’été piquait de ses accents aigus (il n’était pas d’accents graves)

au plus feu du feu du plus été de l’été, l’ombre restait à inven­ter, la nuit était pour naître

pas un moment où nous n’étions heureux, pas une once de temps qui fût grise (l’écoulement était pour le temps pos­si­ble, pour l’eau sans doute, nulle­ment pour les larmes improbables)

ce que le jour se don­nait à lui-même, ce que le soir offrait à tous dans le miroir des eaux, les choses sans cesse et davan­tage, une richesse et son con­traire, pro­fu­sion nue, afflux et manque

de draps à nous cou­vrir, il n’y eut guère que ceux larges et ouverts de la lumière (nous n’en souhaitons d’autres à nos peaux sous le vent)

nous ne repas­sions nulle­ment dans nos traces mais dans celles plus franch­es des loups ou celles légères des bich­es, par­fois les mêmes, croise­ment de sang, pointil­lé de mort, des­tin de notes

nous ne seri­ons jamais assez nus, assez proches, n’aurions pas goût de ciel, de men­the et de mangue (nous n’étions pas tristes, les larmes ne trou­vaient pas nos yeux)

aux endroits minus­cules où la peau est plus fine, sari des paupières, ru ou guéret du poignet, le sang des veines, par­cours rouge temps

quoi qu’il arrive, ce monde nous aimait (nos mains, nos jambes s’y trou­vaient, nos cœurs y battaient)

n’eussions nous aimé que ces roches épars­es sur la rive, nous eus­sions tout de même vécu une sorte de songe, un séjour dif­férent (ceci n’eut-il été qu’un rêve, un clin de paupières, nous en eus­sions été les rêveurs, non le rêve)

tant le jour clair était sans ombre, telle­ment nous viv­ions sans mémoire, ce que nous imag­in­ions, nous avions à cœur de l’omettre

songe bleu du ciel, songe blond des femmes, songe rouge du sang (croise­ment des rêves, teintes claires)

les femmes, les enfants, l’eau des riv­ières, calme calme, paix du monde

rouge de l’air à nos poumons, souf­fle du sang à nos veines, le monde à l’envers, soudain l’ordre des choses

que tout arrive et que rien ne se passe

nous ne savions au vrai à quels mots nous fier mais trou­vions d’instinct le silence bleu qui nous allait, print­emps du sang

et si la foudre nous oubli­ait, nous oubli­ions de l’oublier, nous nous sou­ve­nions d’elle

nous ne tenions pas seule­ment à ces copeaux de langue, nous nous y tenions (brins ou brindilles de mots, pos­til­lons de sang tout juste, à peine un jeu léger)

que les mots ne sous­traient ni n’ajoutent mais lais­sent paraître ou dis­paraître les riv­ières telles qu’elles furent, légers ruis­seaux de l’invisible

quitte à les quit­ter, nous ne par­tiri­ons pas des eaux sans y laiss­er d’une manière ou de l’autre l’empreinte aimante de nos vis­ages, le cours ou le cœur de nos larmes, ru ou ruis­seau, ce que nous étions, n’étions pas, moins et pas même

il n’y eut pas de fin parce qu’il n’y eut pas de temps, que tout était présent, goutte de sang, roche dure, vio­lence calme (notre amour à jamais)

notre séjour au cen­tre des riv­ières, la cinquième sai­son, ne la con­teraient désor­mais que les bulles blondes à la sur­face enfouie, atlantide

citadelle de nuages ou fleur blanche, notre monde lais­sé, ys ou bien lys, pure perte

ne resterait de nous que ce que les femmes auraient chan­té, riv­ière de l’impossible puis rien, lib­erté pour la pluie (notre amour sans nom pour l’amour, haleine fraîche ou franche du vent, mou­ve­ment de l’eau, caprice de la vie)

un monde défait de l’ombre, sans par­leurs ni paroles enfin, univers nu et un, début

ce que nous étions plus que nous, nos traits solaire­ment purs, notre apparence de nuit, silence sous le temps désormais

ce qu’il y avait et ce qu’il n’y avait plus, à tout pren­dre notre ombre, moins encore

un monde défait de l’ombre, sans par­leurs ni paroles enfin, univers nu et un, début

qui touche au but n’a pris la route sans route ni emprun­té l’allée de cristal qui est aus­si la voie sans voie des cen­dres – le mille ignore la richesse du reste de la cible

qui trou­ve a mal cherché

rien de moins, rien qu’un monde en allé, sans les roches qui le fondent, le vent qui l’aime ou l’eau qui le fait vivre, tou­jours vers moins, peine peinée, peine per­due, perdi­tion, perte

un monde nu et sans rien, vide de lui, de nous surtout, de nos lèvres en trop, sans vent qui aille ou eau qui courre, un vrai monde dis­paru, en allé

à la toute fin de tout, hors des lim­ites du temps, plus rien que ce grand vide souhaité sans la res­pi­ra­tion des choses, enfin la fin, périr pour verbe unique

nous nous tairi­ons les pre­miers, puis les roches, le lit des riv­ières dans les draps de per­son­ne (les femmes péri­raient les dernières et le monde avant elles)

la nuit ces­sait de nuire, le vent se séparait de l’air, le feu fondait ses flammes, l’eau se noy­ait dans ses flots

qu’on ne nous cherche ailleurs qu’au cœur blessé de la lumière

dis­paraître, dis­paraître surtout,

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