« Courage, Green, vous avez du tal­ent ». L’interjection finale d’un arti­cle jadis célèbre de Bernanos salu­ant la paru­tion du pre­mier roman de Julien Green en 1926 m’est venue à l’esprit, au moment où j’allais m’efforcer de ren­dre compte du livre d’Armand Dupuy. Bien sûr, je ne suis pas Bernanos, Armand n’est pas romanci­er, mais Mont Cinère, dont Bernanos fit une lumineuse lec­ture, racon­te bel et bien la mise à feu d’une pro­priété et il y a de l’incandescence chez ce poète. Et du courage.

Le courage n’est pas for­cé­ment une ver­tu très élevée. L’étymologie nous apprend qu’elle touche au « cœur » et qu’elle a donc à voir avec la sin­gu­lar­ité de cha­cun, dans ce qu’il peut brass­er, lui et lui seul, de l’expérience com­mune. Courageuse­ment, donc, c’est-à-dire en ne cher­chant à ressem­bler à per­son­ne, mais sans pour autant repouss­er qui que ce soit, l’œuvre poé­tique d’Armand Dupuy s’élabore, comme s’élabore aus­si (mais nous n’aurons pas la place d’en par­ler), son œuvre de pein­tre, de graphiste et de con­struc­teur de livres.

Dans tout ce que la poésie nous donne à lire, ou, plus exacte­ment, dans tout ce qui m’advient d’en lire ces temps-ci, j’ai rarement touché à une œuvre à la fois aus­si jeune et aus­si orig­i­nale. Le cœur bat­tant d’Armand Dupuy pro­pose des pages ser­rées, fausse­ment com­plex­es, où se reçoivent et se relan­cent à la fois les images, les pen­sées, les colères et les douleurs du temps. Vous lisez ces poèmes et vous glis­sez dans un monde intérieur fait de sen­si­bil­ité écorchée mais aus­si de sol­i­dar­ités sim­ples et d’amitiés.

Il n’y a pas de thèmes. Les thèmes se sub­or­don­nent à la forme. Il n’y a pas de for­mal­isme : la récur­rence ryth­mique et visuelle du poème ren­voie aux bat­te­ments de la vie. Il n’y a pas de tran­scen­dance, pas de foi, pas de sys­tème ; seule­ment la vie qui oscille entre les hor­reurs dénon­cées et la douceur d’un quo­ti­di­en où les être aimés respirent sous les toits, à l’heure où le poète tra­vaille. Comme il le dit lui-même « Cela tient ».

Oui, la poésie de Dupuy tient, qui com­pose entre honte de soi et trem­ble­ment de joie, entre vomi et appé­tence. Elle tient aus­si par l’étonnante et admirable présence des amis. Présence d’Israël Eli­raz, de Nico­las Gré­goire et de tant d’autres….

Et, même si la référence éton­nerait sans doute Armand, j’ai songé au buis­son ardent de l’Exode, en lisant ces petits feux de poèmes inex­tin­guibles et inépuis­ables. Dans le secret de ses matins, le poète rassem­ble la nuit, le jour, le feu et les Mottes froides. Cela le fait tenir, sem­ble-t-il, tenir en vie, et cela se partage.

Courage, alors,  Armand !

 

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