« Pourquoi écrire ? Eh bien, parce qu’il faut que l’arbre donne ses fruits, que le soleil luise, que la colombe s’accouple à la colombe, que l’eau se donne à la mer, et que la terre donne ses richess­es aux racines de l’arbre» Mal­colm de Chaz­al (Le Mauricien, 14 octo­bre 1961)

 

Mal­colm de Chaz­al doit à pro­pre­ment par­ler jubil­er là où il est aujourd’hui plus de 30 ans après son décès en obser­vant l’effervescence dont son œuvre est à la fois cause et objet. De façon inverse­ment pro­por­tion­nelle, ceux qui le rail­laient en le trai­tant de fou et/ou d’illuminé doivent se mor­fon­dre en essayant de com­pren­dre leur erreur. Mal­colm n’a pas seule­ment été l’enfant ter­ri­ble des let­tres maurici­ennes, le pour­fend­eur des nan­tis, l’habitué des auto­bus pous­siéreux des cam­pagnes, le marcheur impéni­tent décryptant les mon­tagnes, le ‘phénomène’ au sens mauricien du terme et qui donc est cer­taine­ment peu ou prou sur l’échelle de la folie : il avait, en plus, prob­a­ble­ment rai­son ! Tout porte à croire que nous sommes à la veille d’une ère chaz­a­li­enne nou­velle au cours de laque­lle seront révélées et explic­itées des thé­ma­tiques divers­es et pro­fondes encore enfouies dans ses textes. Mal­colm de Chaz­al n’ayant très prob­a­ble­ment pas écrit et/ou peint pour hier mais pour demain, il est grand temps aujourd’hui de revis­iter l’intégralité de son œuvre et de réex­am­in­er ses réflex­ions d’économie poli­tique, ses recueils d’aphorismes, ses pièces de théâtre, ses (nom­breux) essais méta­physiques, ses con­tes, ses recueils de poèmes, ses chroniques de presse…

 

Encore faut-il se pos­er la (ou les) bonne(s) question(s) et, au départ même, élim­in­er les trop nom­breuses mau­vais­es ques­tions qui col­lent encore au per­son­nage et qu’entretiennent cer­tains ana­lystes. Oui, Mal­colm de Chaz­al a, lors de l’édition par Gal­li­mard de Sens-Plas­tique (1948) et de La vie fil­trée (1949), pen­sé avoir atteint de façon durable une tri­bune à par­tir de laque­lle il allait pou­voir s’exprimer. Oui, Mal­colm de Chaz­al n’a pas été adoubé par les sur­réal­istes même si plusieurs d’entre eux d’André Bre­ton à Fran­cis Ponge et Sarane Alexan­dri­an – pour ne citer que ceux-là – ont recon­nu avoir trou­vé dans son écri­t­ure un fer­ment nou­veau sus­cep­ti­ble de relancer le sur­réal­isme en quête alors d’un sec­ond souf­fle. Oui, enfin, Mal­colm de Chaz­al s’est sen­ti trahi par celui-là même qui l’avait révélé au pub­lic et qui l’a ensuite relégué aux oubli­ettes : Jean Paul­han qu’il dira n’avoir été qu’un « lit­téra­teur, donc un BUTINEUR ». S’arrêter à ces con­sid­éra­tions cor­re­spondrait, en fait, à faire fausse route et à con­clure, comme cer­tains, que Mal­colm de Chaz­al s’est retrou­vé dès lors écrivain frus­tré, isolé dans son ile per­due au fond de l’océan Indi­en… Se lim­iter à ce regard réduc­teur équiv­audrait à nég­liger le fait qu’avant Sens-Plas­tique et La vie fil­trée, Mal­colm de Chaz­al avait déjà une douzaine d’œuvres à son pal­marès dont sept vol­umes regroupant quelque 4 000 apho­rismes et que dans la décen­nie suiv­ante il allait pub­li­er 35 ouvrages (dont 29 essais méta­physiques entre 1950 et 1956) ain­si que 250 de ses 980 chroniques de presse… Les chiffres qui précé­dent ne con­cer­nent que la part éditée de son œuvre : les recherch­es récentes ont démon­tré qu’à la même péri­ode il avait rédigé près d’une cen­taine de con­tes (pub­liés depuis) et 4 romans (encore introu­vables). Quel que soit le tirage de ces ouvrages, l’important est bien dans ce cap poé­tique que Mal­colm de Chaz­al main­tient même si, à compte d’auteur et chez un petit imprimeur de la ban­lieue de la cap­i­tale maurici­enne, il ne pou­vait s’offrir que 100 exem­plaires de chaque titre. Ce qui est essen­tiel à ses yeux, c’est l’œuvre, c’est-à-dire la man­i­fes­ta­tion de l’artiste ; les sup­ports ou moyens de com­mu­ni­ca­tion peu­vent chang­er ! Et com­pren­dre cela aide à appréhen­der l’œuvre de Chaz­al avec un regard inté­gral ren­dant vrai­ment jus­tice à toutes les dimen­sions de sa quête poé­tique. Lorsque ses ouvrages (quel qu’en soit le sup­port) parais­sent et devi­en­nent publics, Chaz­al est déjà plus loin, occupé à aller au plus pro­fond des révéla­tions fon­da­men­tales qui ont illu­miné sa vie intérieure à jamais : celle de la fleur « qui le regarde », révéla­tion du Jardin Botanique de la ville de Curepipe qui joux­tait son domi­cile et qu’il tra­ver­sait tous les jours, et celle de la pierre, révéla­tion qui s’exprime à tra­vers sa décou­verte des scènes édi­fi­antes gravées dans les mon­tagnes, véri­ta­bles évangiles à ciel ouvert. En cela, ses amis mauriciens – Robert Edward-Hart, poète, et Hervé Mas­son, pein­tre –  l’ont puis­sam­ment aidé : le pre­mier en lui faisant décou­vrir l’ouvrage Révéla­tions du grand océan du notaire réu­nion­nais décédé Jules Her­mann pub­lié en 1927 sur le con­ti­nent immergé de la Lémurie qui s’étendrait en dessous des Mas­careignes ; le sec­ond en revis­i­tant dans l’atelier du pein­tre le monde des couleurs et leurs cor­re­spon­dances mystérieuses.

 

Mal­colm de Chaz­al a très tôt conçu sa feuille de route poé­tique… non pas comme un écrivain mono­lithique dont l’écriture reste figée (la diver­sité de son œuvre suf­fi­rait à rétablir la vérité), mais parce que son pro­jet est clair et pré­cis dès son entrée en écri­t­ure une fois « jeté aux orties » – l’expression est de lui – son diplôme d’ingénieur en indus­trie sucrière obtenu à Bâton-Rouge en Louisiane après des études entre­pris­es entre 1918 et 1924. « Ren­verse tout de cette vie-ci, ami, et tu con­naî­tras la vraie réal­ité ! Sois poète et tu vivras ! » écrit-il le 21 avril 1953 dans le quo­ti­di­en local Advance. Et Mal­colm de Chaz­al s’est mis, avec un ravisse­ment total, à tout ren­vers­er pour créer de la féerie à tra­vers une œuvre féconde, riche de mes­sages, de visions, d’aperceptions, d’enseignements, de pistes à suiv­re, de fenêtres sur la Vérité, de provo­ca­tions, de croche-pieds, de boutades, d’humeurs, d’humour, de poésie per­ma­nente, en un mot de VIE ! Ayant aban­don­né l’ingénierie et, par­tant, la bril­lante car­rière qui l’attendait cer­taine­ment dans les usines à sucre, c’est en petit fonc­tion­naire des télé­com­mu­ni­ca­tions qu’il chem­ine pro­fes­sion­nelle­ment pen­dant 20 ans « faisant voir (son) inca­pac­ité » pour être le moins sol­lic­ité pos­si­ble : un de ses col­lègues, égale­ment poète, évo­quera le sou­venir de ce Mal­colm dis­cour­ant longue­ment « du mer­veilleux du quo­ti­di­en, des fleurs qui vivent en ami­tié avec les hommes, des mon­tagnes-hiéro­glyphes, du rit­uel des couleurs et de la lumière, des arcanes de l’alchimie » ou pas­sant à toute allure« dans une sorte de transe, le vis­age préoc­cupé, le men­ton en défi » parce que « pris au sor­tilège d’une idée. » Dès 1936, dans une revue locale éphémère, il énonce son cre­do lit­téraire à tra­vers des pen­sées dont les deux pre­mières résu­ment prob­a­ble­ment à la fois son art d’écrire et la mis­sion de l’écrivain : « Dante est grand parce qu’il a com­pris ce que trop d’écrivains ignorent : que les mots sont des créa­tures vivantes. Il peut les mélanger, les décom­pos­er et les remet­tre à leur place pour en tir­er des har­monies de sons et d’images, mais il n’oublie jamais que chaque parole est un être. Quand j’écris astres, avec ces six let­tres, je ne trace pas des signes morts. Ils con­ti­en­nent une sub­stance réelle et organique. La parole est une magie de vie. » / « Avec sa pen­sée et sa fan­taisie tou­jours hautes, le poète est presque tou­jours le prophète de l’ère nou­velle. » Mal­colm de Chaz­al restera, jusqu’au bout et dans toutes les cir­con­stances de sa vie, ce magi­cien de vie et ce prophète d’ère nou­velle, et ce même quand il sera can­di­dat à la dépu­ta­tion pour un par­ti pro­gres­siste : racon­tant avec lyrisme cette expéri­ence, il se félicit­era d’avoir mis « de la poésie dans la politique ».

 

De la poésie en tant que telle, Mal­colm de Chaz­al en fera peu… Mais étant à tous points de vue un écrivain para­dox­al – un « artiste inté­gral » aimait-il dire pour se désign­er – toute son œuvre tant écrite que pic­turale sera une poé­tique. Dès 1949, dans deux des essais con­tenus dans La vie fil­trée, il en définit les balis­es qui sont autant de pré­cieuses pistes de lec­ture : « Ma poésie est der­rière les mots. Le lecteur doit pénétr­er dans ce monde fer­mé des let­tres où ma poésie doit lui rester cachée tel un bon­bon four­ré qu’on ne goute pas en le suçant mais en le mor­dant. (…) Un des buts majeurs de la poésie est, selon moi, de créer des pentes dans les mots, d’entailler des glis­sières dans la langue pour faire pass­er et ruis­sel­er au dehors la sen­sa­tion. (…) Ma poésie n’est pas une poésie de la forme mais une poésie du fond. (…) Chercher le corset de la rime, le panier à salade des « pieds » du ver et le car­can du nom­bre de vers – comme l’amour à l’horloge – tout cela je l’écarte d’instinct. » (dans La poésie pure) ; « La poésie dans son essence est un art de fonderie. Le maitre fondeur est le sub­con­scient ; le cerveau con­scient est le cais­son ; et les mots, la terre fri­able et mal­léable où s’imprime la forme spir­ituelle des idées. » (dans La lit­téra­ture) En con­juguant les dif­férentes déf­i­ni­tions chaz­a­li­ennes du poète et de la poésie, il devient évi­dent que le poète est prophète détenant les clefs du savoir et de la sci­ence… Mal­colm de Chaz­al le con­firmera en octo­bre 1953 dans une chronique pub­liée dans le quo­ti­di­en local Le mauricien : « Le poète n’est plus un com­bat­tant de l’Idéal, pleur­nichard des temps morts. Le poète sera prophète ou il ne sera pas. (…) Le poète ne peut plus dire : « Je joue avec des mots ». Mais il doit dire : « Je suis le verbe, je suis le porte-flam­beau du Verbe. L’étendard est entre mes mains. Je suis la lumière. Qui est con­tre moi est dans le noir. Car je suis syn­thèse. » Vous n’êtes qu’analystes, ô vadrouilleurs de mots, poètes, haleurs de phras­es, castag­nettes des allitéra­tions, rimeurs, ryth­meurs, aphasiques, ânon­neurs syn­co­pa­tiques, bal­bu­tieurs et zézéyeurs. » Et, au lende­main de la mort de son ami poète Robert-Edward Hart, il écrit : « Quand on m’a annon­cé la mort de Hart, ma pre­mière pen­sée a été : que voit-il ? Car le poète voit. »

 

Peu de sa poé­tique ain­si que de sa poésie a cir­culé en France et en Europe… Ses nom­breuses réflex­ions méta­physiques, son théâtre (dont il a brûlé plusieurs pièces) – sauf rare excep­tion – n’ont guère dépassé les fron­tières maurici­ennes. En matière de poésie, son pre­mier recueil stric­to sen­su, Sens mag­ique, d’abord édité à Mada­gas­car et à Mau­rice en 1957, ne sera pub­lié à Paris qu’en 1983 soit deux ans après son décès… Appa­ra­dox­es, paru en 1958 à Mau­rice, ne sera édité en France qu’en 2005. Il n’y eut donc de paru en France que Poèmes, pub­lié par Jean-Jacques Pau­vert en 1968, et La Bouche ne s’endort jamais aux édi­tions Saint Ger­main des Près en 1976. Le dernier recueil édité, Humour Rose, pré­paré dans ce but en 1967, ne le sera qu’en 2011 par la Fon­da­tion Mal­colm de Chaz­al dans la revue de poésie Point Barre, avant sa paru­tion sur le site Recours au poème. La répu­ta­tion de poète dont jouit Mal­colm de Chaz­al remonte donc à Sens-Plas­tique qui date de 1948 et qui n’est pas à pro­pre­ment par­ler un recueil de poèmes. Ceci n’a pas empêché que des tra­duc­teurs s’emparent de ces apho­rismes en par­tie ou en total­ité pour les pub­li­er en dif­férentes langues : en danois (Plas­tiske aspek­ter par un groupe de sur­réal­istes danois en 1972), en espag­nol mex­i­cain (His­to­ria del Dodo en 1994), en alle­mand (Plas­tiche Sinne en 1996), en améri­cain en trois étapes : 1971, 19749 et 2008) et enfin en slovène (Pes­mi en 2006 et Čarni Čut en 2010).

 

En réal­ité, Sens-Plas­tique de l’aveu de l’auteur a plusieurs niveaux de sens : celui du ren­verse­ment du mode de penser comme l’a con­staté Jean Paul­han citant l’aphorisme « Les val­lées sont le sou­tien-gorge du vent ; celui d’un éloge de la volup­té cou­plé à une méta­physique au-delà des mots comme l’entend André Bre­ton dans La lampe dans l’horloge ; celui d’un lan­gage neuf où le verbe devient esprit selon Eric Von Richtofen ; celui, enfin, de livre des couleurs… Relisant Sens-Plas­tique 13 ans plus tard, Mal­colm de Chaz­al écrit : « Les images sens-plas­ti­ci­ennes remet­tent l’homme dans la vie. Et la vision dès lors n’est pas en sens unique, de l’homme à la fleur, mais con­join­te­ment de la fleur à l’homme redonnant ce ‘regard en retour’ dont la sor­tie hors du jardin nous avait privé. Et le poète qui regarde la fleur d’azalée voit la fleur d’azalée le regarder en retour. Dès lors toute la vie s’anime en con­te de fées, et la fée est la lumière qui tran­scrit le regard de l’homme à la rose et de la rose à l’homme. Et c’est, en dernier, le sens du mer­veilleux retrou­vé, qui est le retour à la vie et qui met dans le par­adis des enfants. (…) De sorte que Sens-Plas­tique, tout en étant un livre de sen­sa­tions, est en même temps un album d’images où, au-delà de la lit­téra­ture, Sens-Plas­tique est une pein­ture et un verbe poé­tique tout à la fois. (…) Le salut donc est d’ordre poé­tique. La POÉSIE ain­si est tout, clé de libéra­tion, clé de la vie. Il n’est donc de sci­ence en dehors d’elle.» (Le mes­sage de Sens-Plastique)

 

A par­tir de 1958, Mal­colm de Chaz­al pub­lie beau­coup moins : 6 ouvrages seule­ment paraitront entre cette date et le dernier ouvrage paru de son vivant. La rai­son de ce silence édi­to­r­i­al est sim­ple : hap­pé par la pein­ture à par­tir de 1958, il a décou­vert que les couleurs sont aus­si un alpha­bet per­me­t­tant d’exprimer une méta­physique et que des tableaux peu­vent aus­si bien être des poèmes. « Le poète peut tout, même l’impossible. (…) En trois semaines je me suis érigé pein­tre. (…) Le poète peut tout. Car lui seul est vivant » écrira-t-il avec lyrisme dans le quo­ti­di­en le mauricien du 1er juil­let 1958… Sa décou­verte de la pein­ture est plus pré­cisé­ment celle de la pein­ture enfan­tine car c’est en voy­ant pein­dre la petite Mar­tine âgée de 8 ans qu’il voudra, en poète, racon­ter le monde avec ses couleurs. L’hostilité de l’estab­lish­ment des pein­tres locaux et le mépris du pub­lic acheteur à son égard ne le décourageront nulle­ment. Dans le même quo­ti­di­en, il pub­lie le 25 sep­tem­bre 1959 une chronique inti­t­ulée Com­ment pein­dre au-delà de soi-même dans laque­lle il détaille son approche : « L’enfant qui peint un cocoti­er s’intègre au cocoti­er. Je m’intègre au cocoti­er. Je le vois avec des yeux d’enfant. C’est tout Sens-Plas­tique rap­porté pic­turale­ment… Mes dessins sont des méta-dessins. Je peins à bout por­tant. Je laisse agir le soleil de l’inconscient, qui est la source de toutes les couleurs. J’appelle cela pein­dre au-delà de soi-même. Ne pas pein­dre, mais être peint. Je suis poète, homme solaire…» Un autre poète con­firme cette démarche poé­tique, à savoir Edouard Mau­nick dans une let­tre pub­liée dans le quo­ti­di­en Advance le 21 sep­tem­bre 1959 : «  j’ai vu vos tableaux. Pour dire vrai, ce sont les couleurs que j’ai vues avant. Pas le bleu, pas le vert, ni le rouge, mais la couleur. Comme si vous aviez trou­vé le secret d’en inven­ter une qui soit tout à la fois plurielle et unique. Une qui restera votre couleur, issue d’une syn­thèse dont seul le poète détient la magie. »  La poésie chaz­a­li­enne devient ain­si pic­turale et se vêt de couleurs et de formes en aplats. Bien­tôt, le poète-pein­tre s’engage dans une féerie, fac­teur d’humanisation, en intro­duisant les paramètres du rêve éveil­lé et de l’innocence. « Le monde de fées c’est tout l’art de l’innocence. Cet art de l’innocence, c’est l’humanisation, qui cou­vre tout, qui est tout, parce que l’humanisation c’est le principe mag­ique en soi. Nous sommes ici au cœur de la con­nais­sance. » La féerie ver­sion Chaz­al est, par con­séquent, de nature abstraite et implique un regard suff­isam­ment dis­tan­cié pour pénétr­er par-delà la chose vue, pour entr­er dans cette qua­trième dimen­sion où se situe l’essentiel, pour saisir l’humanisation pro­fonde tant minérale qu’organique, des êtres comme des choses. Pro­gres­sive­ment, « l’île Mau­rice devien­dra l’ILE-FEE » selon l’affirmation de Mal­colm de Chaz­al en avril 1972 avant que, le 2 décem­bre 1972, une let­tre pub­liée dans les colonnes du Mauricien fait de la thé­ma­tique de la féerie et de ses décli­naisons l’essence même de la poé­tique chaz­a­li­enne. En effet, Chaz­al y rap­pelle les car­ac­téris­tiques du relief mauricien : « Vues de la mer, nos mon­tagnes sont comme tail­lées en dents de scie. Elles parais­sent arti­fi­cielles. (…) Approchez-vous et tout change. (…) Ces mon­tagnes sont ‘habitées’. Les anciens auraient par­lé des ‘dieux’. Il ne s’agit que des ‘fées’. » La lec­ture poé­tique de l’ile, que sa pein­ture illus­tre superbe­ment et prend de nou­velles dimen­sions quand on la con­jugue avec ses écrits, appa­rait in fine comme via­tique, source de rédemp­tion, passe­port pour l’universel, porte menant au Grand-Tout, clef du cosmique…

 

Cos­mique… Serait-ce là le sésame qui ferait appréhen­der l’univers chaz­a­lien dans toutes ses dimen­sions ? En 1953, au lende­main donc de la péri­ode féconde des apho­rismes et à l’orée de celle non moins féconde des théâtres, essais méta­physiques, con­tes, romans et chroniques, Mal­colm de Chaz­al pub­lie une chronique qui passe inaperçue comme tant d’autres et qu’il inti­t­ule La poésie cos­mique et dans laque­lle il affirme : « Par Sens-Plas­tique, j’obtiens la liai­son du réel extérieur et du réel intérieur : la syn­thèse est ici d’ordre con­scient-sub­con­scient. Mais tout repose encore dans le ter­restre. Par la pierre, je tente l’escalade vers le cos­mique. Je me tire, par la mon­tagne, vers l’allégorie naturelle. Et enfin, la nuit me mène directe­ment dans le sidéral absolu. À ce stade, la poésie cos­mique est née. (…) De la vie, la sci­ence n’a pu capter que le vis­i­ble aspect. La réal­ité pro­fonde appar­tient au poète. Ai-je tort donc de dire que le monde est poésie ? » (Le Mauricien, 17 jan­vi­er 1953) Et le tout reflètera une influ­ence cer­taine de la pen­sée swe­den­borgi­en­ne dont Mal­colm de Chaz­al a été imprégné pen­dant toute son enfance et dans sa jeunesse : l’implantation de l’Eglise de la Nou­velle Jérusalem pra­ti­quant le culte d’obédience swe­den­borgi­en­ne à Mau­rice a été le fait d’un de ses pro­pres ancêtres et tous les mem­bres de la famille pos­sé­daient la col­lec­tion com­plète des ouvrages d’Emmanuel Swe­den­borg dont la tra­duc­tion française n’aurait pu avoir lieu sans le sou­tien de la famille maurici­enne de Chazal.

 

Mal­colm de Chaz­al, l’artiste inté­gral, le poète-pein­tre, avait prob­a­ble­ment rai­son et comme il l’affirmait, «que ce mes­sage vienne de l’île Mau­rice, ce point dans l’Océan, c’est cela qui est extra­or­di­naire » (Le Mauricien, 18 mai 1970)… Il n’est guère éton­nant que la révéla­tion de l’existence du con­ti­nent de la Lémurie au-dessous de son ile ait pu le boule­vers­er jusqu’à lui enlever le som­meil des jours durant… (« je ne pus plus voir, dès lors, mon île du même œil qu’avant. Un passé déjà m’avait soudé à l’Impossible » dira-t-il)… La recherche con­tem­po­raine vient en 2013 apporter un élé­ment cap­i­tal nou­veau : des recherch­es océanographiques effec­tuées par des sci­en­tifiques norvégiens et japon­ais entre 2000 et 2007 ont établi de façon cer­taine que l’ile Mau­rice est au-dessus d’un con­ti­nent englouti que ces chercheurs ont bap­tisé Mau­ri­tia… Ceci relance la réflex­ion sur Mal­colm de Chaz­al et donne une force nou­velle à ses révéla­tions, à ses ful­gu­rances poé­tiques, à ses con­vic­tions méta­physiques… Et si l’on ajoute à cela que Mal­colm de Chaz­al a vécu sa vie durant sur le flanc d’un cratère du nom de Trou-aux-cerfs dont la dernière érup­tion dat­erait de 250,000 ans… On peut se deman­der si Mal­colm de Chaz­al ne ressen­tait ou ne rece­vait pas de cette prox­im­ité géo­graphique vol­canique des mes­sages par­ti­c­uliers, sis­miques ou tel­luriques qui expli­queraient ces états de transe et de fièvre qui ont tou­jours car­ac­térisé ses moments d’écriture et de pein­ture… Le débat sur l’écriture chaz­a­li­enne et sa poé­tique est donc loin d’être clos : peut-être en fait ne démarre-t-il vrai­ment qu’aujourd’hui…

 

Il est temps de clore cet arti­cle et revenons pour cela sur la cita­tion de Mal­colm de Chaz­al mise en exer­gue et datant de 1961. Elle se ter­mine ainsi :

« Pourquoi écrire ? Mais afin de se don­ner. Et le don enri­chit. Cette « richesse » grandit la per­son­nal­ité. Et l’on monte. Où ? En soi-même. J’ai nom­mé la délivrance. Il n’y a pas d’autre forme de libération. »

 

Robert FURLONG

Prési­dent de la

Fon­da­tion Mal­colm de Chazal

 

LA FONDATION MALCOLM DE CHAZAL

Organ­isme créé par la loi 51 de 2002, la Fon­da­tion Mal­colm de Chaz­al (en anglais Mal­colm de Chaz­al Trust Fund) a été créée en 2002, année du cen­te­naire de la nais­sance de Mal­colm de Chaz­al et placée sous l’égide du Min­istère des Arts et de la Cul­ture. Elle est aujourd’hui sous la prési­dence du chercheur Robert Furlong.

 

Les objec­tifs de la Fon­da­tion sont, notam­ment, de pro­mou­voir l’œuvre de Mal­colm de Chaz­al locale­ment et inter­na­tionale­ment, de dévelop­per un cen­tre de doc­u­men­ta­tion sur l’œuvre de cet artiste et de créer un espace muséal qui lui soit con­sacré. Elle mène, à cet effet, en direc­tion de tous publics (adultes, jeunes et enfants) à tra­vers Mau­rice, régions rurales com­pris­es, des actions telles des expo­si­tions, des con­férences, des exposés, des col­lo­ques inter­na­tionaux, des ate­liers ‘Pein­dre à la Chaz­al’ pour les plus petits… Habil­itée à recevoir des dona­tions et des legs, la Fon­da­tion a reçu d’une généreuse dona­trice 40 tableaux orig­in­aux de Mal­colm de Chazal.

 

La Fon­da­tion a son siège à La Mai­son du Poète située dans un des vieux quartiers de la cap­i­tale maurici­enne, Port-Louis. La ruelle pavée où elle est située a été amé­nagée en espace met­tant en valeur des pen­sées de Mal­colm de Chaz­al qui sont apposées sur des pan­neaux tout au long de celle-ci, dénom­mée ‘Prom­e­nade Mal­colm de Chazal’. 

 

Adresse et contacts :

Fon­da­tion Mal­colm de Chaz­al Rue du Vieux Con­seil Port-Louis (Mau­rice) Tél. et fax : (230) 213 42 65

Cour­riel : chazfund@intnet.mu                                              Site inter­net : www.malcolmdechazal.mu

Face­book : Mal­colm de Chaz­al.                                             Twit­ter :@mdechazaltf

 

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