Joël Bas­tard est poète, fer­mi­er dans le Jura, écrivain à la plume effi­cace et sans recul, qui en tant que poète s’es­saye à des formes inédites. On n’a pas oublié chez Gal­li­mard ses beaux recueils comme Beule ou Se des­sine déjà. Son rap­port à notre univers, loin d’être arti­fi­ciel, passe par le con­cept de «Nature», aujourd’hui pass­able­ment défor­mé, morcelé, «bio-isé» ! On perçoit cette rela­tion au vivant dans toute l’oeuvre. C’est le cas de ce petit livre : usant d’une prose poé­tique, chargée d’évocations et de non-dits en arrière-plan, il nous pro­pose un dou­ble con­te, ou plus exacte­ment un con­te à deux faces : un réc­it en deux par­tie, dont chaque face est à la fois reliée à l’autre par une sorte d’at­mo­sphère antin­o­mique, et cepen­dant sans rela­tion autre que textuelle. Je ne vais pas déflo­r­er cette courte «bis­toire», je me con­tenterai de dire qu’elle est tem­porelle­ment à cheval sur deux événe­ments, l’un à valeur de fait divers, l’autre d’événe­ment uni­versel (vu du point de vue du fait divers égale­ment). Leur seule mise en regard, en miroir, induit une réflex­ion qui con­tin­ue de me pour­suiv­re depuis que j’ai lu ces «compte-ren­dus» tour­nant autour d’une même sec­onde «où tout bas­cule» pour une dou­ble his­toire humaine. Il y a une sorte de rela­tion occulte et inso­lite­ment poé­tique, méta­physique, entre ces deux réc­its étrangers, étrange­ment loin­tains, l’un en Corse con­cer­nant une troupe de jeunes gens avec leurs moni­teurs en camp­ing, l’autre con­cer­nant le moment où un vil­lage, des envi­rons sans doute, attend les pre­miers pas pro­gram­més de l’homme sur la Lune, en juil­let 1969. Ce sont lieux infimes et faits-divers, très locaux, pour­tant de la grav­ité qui les frappe se dégage une con­science nou­velle du fait d’être homme et de l’u­nité ter­restre : selon quoi le hasard et la con­comi­tance ne sauraient être des pré­textes à con­sid­ér­er que le temps et l’e­space n’en­tre­croisent pas leurs filets con­stam­ment, un peu comme aujour­d’hui l’In­ter­net, sur l’hu­man­ité plané­taire, de manière à ce que même ceux qui ne se croient pas sol­idaires ou, pour le moins, reliés, décou­vrent qu’ils le sont au fond, quoique s’ig­no­rant plus ou moins récipro­que­ment, voire s’entre-asssassinant. Une façon pour Joël Bas­tard de rafraîchir l’idée (que tous les humains oublient un peu facile­ment) qu’ils sont «tous dans le même bateau». En pous­sant à peine plus loin la médi­ta­tion, je dirais que là est la source véri­ta­ble de l’é­colo­gie, qui n’a rien à voir avec des visions par­tielles et locales comme sou­vent en Europe, mais qui est cette prise de con­science d’une inter­re­la­tion glob­ale, appliquée à tout ce qui est vivant (et donc sous men­ace de mort en per­ma­nence). Prise de con­science des­tinée à nous rap­pel­er com­ment il con­vient d’habiter cette Terre.

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