C’était un lut­teur de Causse. Blouse, veste ou cape, il courait de champ en champ et ouvrait le por­tail de l’épaule plus sou­vent que du poignet. Le cen­tre du cerveau sur son tra­vail et pour­tant tou­jours comme ailleurs, à ne pas fix­er le monde, à gliss­er, à sauter d’une main l’obstacle, pour mieux empoign­er l’outil lus­tré. Ou bien prenant l’aiguillon et grif­fant le chemin, der­rière les mou­tons, d’un mou­ve­ment sans mesure comme d’autres bénis­sent le pain à dou­ble crisse­ment de couteau. Et les cent paires d’yeux, dès que livrées au ver­sant frais, à leur com­mu­nauté immatérielle de son­nailles, il rame­nait la claie ven­teuse sur son dos puis repar­tait plus vite que le chien. Et sous l’air bouf­fant des ais­selles, pre­nait place la langue luisante de l’animal puis toute une effer­ves­cence de laine, tout un peu­ple tran­shu­mant sa mémoire, depuis l’enfance vénérée jusqu’à la grange immense, à la dou­ble porte ouverte, comme un tem­ple inac­ces­si­ble dans l’Empire en temps de guerre.

 

 

 

“Por­traits sans noms, tableaux”, (Rougerie)

 

image_pdfimage_print