Je t’aime, Amérique,
pour le lit infi­ni de tes larmes,
pour ce que tu as de solaire et d’altier,
pour ton intense saveur d’olive,
pour ton odeur de forêt émouvante,
parce que tu joues ta vie avec la mort
et meurs de rêver une vivante blessure.

Je t’aime, Amérique,
parce que je viens d’une boue hallucinée
− Sang lus­tral et moelle d’étoile –
où une race morte et renaissante
a forgé dans la nuit sa ban­nière d’aurore.

Je t’aime, Amérique
pour ton enfance dolente sans étoiles brillantes,
pour ta jeunesse rebelle invaincue,
pour ton silen­cieux cri souterrain
qui assoif­fé de sub­stances primordiales,
a fait éclater les veines de la terre.

Je sens
que le germe spir­ituel qui me porte
se gon­fle d’amour pour te nom­mer, Amérique,
et les enceintes de ton âme acquièrent
des dimen­sions de voûte infinie,
et une acous­tique grave
pour ta voix nette.

Tu te donnes à tous, mul­ti­ple et unique,
patrie, enfant géante d’amidon et de mau­vais vin,
que tu tiens dans la paume de ma main
comme un oiseau endor­mi en son nid.

J’aime ton archi­tec­ture végé­tale, ton cœur racine,
ton épi­derme de pêche,
ton pied champ de blé qui danse dans la vallée,
et tes bras ardents de paysans
semeurs d’amour et d’espérance.

Je t’aime comme tu es, terre martyre :
con­tra­dic­toire, amère et désolée,
fer­tile et prodigue et assoiffée,
avec le flanc blessé de misère
et la poitrine trop­i­cale, pulpe et corossol.

Je vis pour te par­ler demeurant,
presque en sour­dine dans les quartiers pauvres,
pour racon­ter des his­toires aux enfants
mod­e­lages d’ombres et d’angoisse.

Ma voix est si petite qu’elle se perd,
se dilue dans la boue frémissante ;
ma voix alors n’est pas ma voix, devient étrangère
et m’arrive après plus intime et profonde
dans le san­glot immense de la mère
qui porte un fils mort dans ses bras.

Envoi :

Venez poètes,
apportez à fleur de terre votre chant.
Le mes­sage d’amour est comme un enfant
qui sème les aubes dans la campagne.

Notre lieu est ici !
Déliez la voix nue
et lais­sez-là pleur­er à l’air libre.
Demain doit sur­gir, intè­gre et pur
avec l’humide tige fleurie.

Venez, poètes, marchez avec moi
par ces nuits lentes et terribles
dans lesquelles les êtres pro­scrits de l’aurore
ago­nisent sans pain et sans paroles.

Venez, poètes,
puri­fiez la stro­phe et la conscience.
Que les pas retour­nent à l’enfance.
Portez la voix plus claire.

Nous mar­chons pieds nus dans l’Amérique,
et que notre chant soit si simple,
si intime, si pro­fond, si sincère,
que les héros et les enfants l’entendent
et qu’il boule­verse d’amour toute la terre.

[Tra­duc­tion de Claude Beausoleil]

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