Dans sa tru­cu­lente présen­ta­tion d’Eduard Mörike, Jean-Yves Mas­son explique pourquoi il a décidé de traduire ce poète roman­tique du 19e siè­cle. Je l’avoue, ce vol­ume me fait décou­vrir Mörike que je ne con­nais­sais que de nom, c’est du reste une des ver­tus de l’excellente col­lec­tion Orphée. L’homme est né en Souabe en 1804, sémi­nar­iste puis pas­teur, jeune il ren­con­tre Hölder­lin, est frap­pé par les trou­bles qui assail­lent le poète. La pre­mière édi­tion des Poèmes, édi­tion qu’il com­plètera jusqu’à la fin de ses jours, paraît en 1838. Il cesse sa vie pas­torale peu après. Devenu célèbre, ses poèmes étant lus et étudiés, une époque où l’on accor­dait de l’importance à la vie poé­tique, il mène une vie per­son­nelle déli­cate, et cesse d’écrire. Mörike est mort en 1875. Il a assisté à la nais­sance de l’Allemagne. Ce n’est pas rien.

Sa poésie mêle chris­tian­isme et pagan­isme, en lien avec la Grèce. C’est un roman­tique. Et ce lien en sa poésie peut sans doute être perçu comme une car­ac­téris­tique majeure d’un cer­tain roman­tisme de langue alle­mande. De sa vie et de sa poésie, Mas­son écrit ceci : « Mais, de tous les refuges, le plus durable reste la Nature, qui est pour lui la face mater­nelle de Dieu. Le besoin vital qu’éprouve tout au long de sa vie l’âme inquiète de Mörike s’énonce en alle­mand par un mot presque intraduis­i­ble, qui donne son titre à l’un de ses poèmes les plus con­nus : Ver­bor­gen­heit. Il s’agit de vivre caché, de se tenir à l’abri, de rester au secret : toutes ces expres­sions ne sont que des approx­i­ma­tions pour désign­er un retrait, une vie à l’écart du monde qui n’est pas entière­ment celle d’un ermite, mais d’un esprit qui red­oute les sol­lic­i­ta­tions extérieures et veut se con­sacr­er avant tout à lui-même tout en jouis­sant (et c’est toute la dif­férence avec l’ermite) de la beauté du monde, nulle­ment incom­pat­i­ble pour lui avec le souci de la vérité, et par­fois de la com­pag­nie de quelques êtres choi­sis ». Voilà qui dit beau­coup au sujet de l’état de l’esprit de Mörike, soucieux de la féminité de Dieu (la langue française est sur­prenante, elle qui ne rend pas compte de la pos­si­ble com­préhen­sion de l’Esprit saint en mode féminin, « la » Esprit saint, com­préhen­sion qui explique pour­tant pourquoi Marie lui est sou­vent reliée). Cela dit beau­coup aus­si sur un chris­tian­isme qui n’est pas ici étranger à un cer­tain gnos­ti­cisme, ver­sant opti­miste, comme à un cer­tain pan­théisme. Richesse du roman­tisme allemand.

On enten­dra donc claire­ment la con­clu­sion de Jean-Yves Mas­son : « Tel est Mörike, poète du secret : le prince caché d’un roy­aume où n’entrent que ceux qui ont gardé l’esprit d’enfance ».

 

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