HERBE RUSTIQUE

On ne cherche pas la vérité avec elle
On la trouve.
C’est absol­u­ment le matin
Puis le soir irréductible.

Seuls en face de l’énigme :        herbe !
On peut la feuil­leter en tous sens,
Vieux livre de la terre
Avec des pas­sages qui nous brûlent
d’attendrissement.

Leste, preste, elle orne fougueusement
Le sol sans marge.
C’était juste­ment la page du poème,

Page à laque­lle je songeais. Cela devenait
Bruis­sant, rond dans l’insomnie.
Une herbe rus­tique. Ô surprise !

Il fau­dra que je te révèle. À une vitesse folle
Tu envahis les mots et charmes le silence,
Le gris des jours. Herbe irréductible…

… Qui sourit de nos hési­ta­tions.                              (p. 14)

 

 

VIE

Trem­blante et tendre
Est la cadence des mou­ve­ments de l’herbe.
On ne se rap­pelle jamais com­ment elle est
Exactement.

L’effleurer seule­ment,
Elle se penche, se raid­it et se dégage,
Appar­tient au monde.
Elle lui mur­mure des secrets.

Essayez de la saisir
Elle vous stri­era la paume.
Quelques gouttes de sang
Se met­tront à briller.

En se cachant dans le poème
A‑t-elle dit : « Je veux vivre
Au milieu de vous humains ! Avec les mots
Pré­par­er les lende­mains. »                                        (p. 33)

 

 

LES HERBES DU PRÉ

S’asseoir avec l’enfant dans le pré
Le long de l’étang,
Pour rester au milieu des choses
En s’élevant de la terre jusqu’au ciel.

Les herbes font des géométries furtives
De chaque côté du corps,
Machi­nale­ment on herborise.
Se sauver un peu, vaquer ailleurs.

La terre descend doucement
Jusqu’à l’eau,
L’herbe s’arrête avant.
Il y a une sorte d’angoisse boueuse au bord.

Le regard se rassure
Dans l’abandon appar­ent du pré.
J’écris, l’herbe s’acharne dans les détails,
Quadrille le sol dans tous les sens et con­spire autour des mots.

                                                                                  À Fan­nie chérie.                     (p. 86)

 

 

INDÉRACINABLE

Longe le mur,
Continue,
Suis, suis encore
La route.
Regarde le goudron,
Il est fissuré.

Au milieu
Une traînée
Verte,
Étroite.
Je t’assure, avance
Elle est là.

 

La déchirure
De la croûte.
La fine
Ligne vivante
De l’herbe.
De l’herbe !

Air
Espoir
Chiendent
Indéracinable
De la
Poésie.                                   (p. 106)

 

 

HERBE, INVITATION AUX SONGES

Dans l’herbe soyeuse
Les escar­gots bavent tranquillement.
C’est une ivresse de gentillesse
Que des gens délabrent.

Il va fal­loir chercher de nou­veaux sens.
Il va faire très, trop, insupportablement
Chaud, sans air, sans eau,
Sans toi, sans elle, et lui et tous les autres.

Toi, herbe fine et résistante
Devant ma porte, puis, qui se pouss­es entre mes cils,
Me fais de l’ombre, caches mes larmes
Sur ceux et ce que je pleure : Reste !

Herbe jamais désinvolte
Tu viens sur mes mots,
Me fais retrou­ver le chemin de halage
Où nais­sent les songes qui cham­bar­dent le vis­i­ble.                          (p. 129)

 

ADMIRATION

Une sorte de monde embusqué pousse
Dans les impass­es du poème.
Quelques tiges, la terre n’est pas inculte,
Elle garde l’herbe fraîche entre les lèvres pour quelques mots.

Herbe de la reine, herbe de l’ambassadeur !
Et près du bar­rage de la Sirba
Des enfants que j’aime.
Là-bas, aucune plante n’est jamais appelée mau­vaise herbe.

Nous t’appartenons par notre admiration
Herbe en cos­tume de pen­sion­nat,                              Poésie
Éton­nante, rangée, dépourvue de fatu­ité. Tu déranges !
La gloire accourt à toi, à la tran­quille mod­estie de tes mots.                       (p. 130)

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