Il nous arrive d’être assis devant la télé et de nous sen­tir tels des déportés devant une fente entre deux planch­es. Notre chose, dans ces instants-là, nous ne l’entendons pas. Un mince fil de fer émerge et plonge à la sur­face de son ven­tre. L’unique sens qu’elle pos­sède est là, vue et ouïe de son âme secrète. Si on tran­chait le fil, la chose se tairait à jamais. Même si son corps restait iden­tique quelques mil­lions d’années encore, dès ce moment-là elle serait morte.

Nous ignorons com­ment naît son bruit, mais nous savons que ce n’est pas un ressort qui la fait aller, car il n’y a pas sur son corps de papil­lon grâce auquel on pour­rait ten­dre le ressort. Quand, mal­gré tout, le son atteint l’ouïe, nous enten­dons un frag­ment d’une com­po­si­tion roman­tique née en quelque con­trée d’Europe Cen­trale, prob­a­ble­ment l’Autriche. Nous ne nous y con­nais­sons pas en musique et n’en con­voitons jamais, mais il sem­ble qu’au cours des années passées, même en dehors de notre volon­té, notre oreille ait col­lec­té et com­paré dif­férents sons. Peut-être l’oreille ne fait-elle de la musique que pour elle seule, pen­sons-nous dans ces moments entre deux réflex­ions que nous jugeons importantes.

Sitôt éloignés de notre chose, impos­si­ble de nous rap­pel­er son aspect. Par laque­lle de ses lim­ites encer­cle-t-elle, et par quelle autre s’offre-t-elle aux formes créées qu’on doit encer­cler? Si nous nous éloignons davan­tage, notre oubli devient doute : peut-être s’agit-il d’une chose pos­sé­dant des aspects plus rich­es que ceux qu’elle avait quand nous étions plus proches d’elle. Nous n’avons plus de cer­ti­tude que la chose pos­sède des jambes ou des embryons de jambes, et qu’elle peut se déplac­er et inspecter ses envi­rons, à une vitesse, pour dire vrai, moin­dre que celle de la course d’une tortue.

Tan­dis que nous la com­parons à une tortue, de plus en plus nous croyons qu’il s’agit véri­ta­ble­ment d’une tortue. Elle est aus­si dure qu’une tortue, quand elle est soulevée du sol les mou­ve­ments symétriques de ses pattes sont les mêmes que chez la tortue. Sa cara­pace et ses yeux luisent quand une autre lumière s’éclipse, je ne sais où.

 

 

Tra­duc­tions de  Lil­jana Huib­n­er-Fuzel­li­er & Ray­mond Fuzellier

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